Valeur sentimentale
Deux sœurs qui viennent d’enterrer leur mère voient resurgir leur père soucieux de
rattraper le temps perdu. Il s’avère en fait qu’il a une autre idée en tête : proposer à sa
fille aînée d’être la vedette de son prochain film, alors même qu’une star américaine a
déjà accepté le rôle. Ce nœud de vipères inspire au réalisateur norvégien de Julie (en 12
chapitres) un drame à haute tension qui fait par essence la part belle à ses interprètes
et plus particulièrement à deux d’entre eux : le père dominateur campé par l’immense
Stellan Skarsgård et sa fille farouche qu’incarne la muse du cinéaste, Renate Reinsve.
Joachim Trier pousse leurs frictions jusqu’à la rupture avec la complicité de leurs deux
partenaires principaux, Inga Ibsdotter Lilleaas et Elle Fanning. Mais, attention, Valeur
sentimentale n’est ni une méditation sur le cinéma ni même une réflexion sur les jeux
entre réalité et fiction. C’est une œuvre vertigineuse qui sonde des relations humaines
universelles en veillant à rendre le moindre détail intelligible pour les spectateurs pris à
témoin. Avec pour centre de gravité une maison de famille qui exacerbe les souvenirs de
ses occupants et les renvoie inéluctablement à l’évolution de leurs rapports souvent
douloureux, mais parfois aussi heureux. Trier utilise à cet effet un scénario qui combine
la rigueur d’une pièce de Strindberg et la subtilité d’un film de Bergman. Il ne cite
pourtant jamais ostensiblement ses références, mais en tire les enseignements qui
s’imposent.
Jean-Philippe Guerand
Sentimental Value. Film franco-norvégo-germano-suédo-danois de Joachim Trier (2025),
avec Renate Reinsve, Inga Ibsdotter Lilleaas, Stellan Skarsgård, Elle Fanning. 2h12.