Stranger Eyes de Yeo Siew-hua
La surveillance généralisée obsède les habitants de cette planète, mais les Singapouriens ont un temps d’avance, ceux-là même qui connaissaient déjà il y a quarante ans l’interdiction de manger du chewing-gum dans la rue et les affiches omniprésentes prescrivant les « bons comportements ». Dans Les Étendues imaginaires (2019), le Singapourien Yeo Siew Hua mettait en scène l’enquête d’un policier mélancolique sur la mort d’un ouvrier du bâtiment, dont le destin anonyme se confondait peu à peu avec le sien. C’était un itinéraire fragile et solitaire, dans un monde ultra-technologique à la férocité féodale. Cette poésie hallucinatoire, somnambulique, mêlée au réalisme social, se retrouve dans Stranger Eyes. Un enfant disparaît. Le père et la mère sont traqués par un voyeur d’âge mûr, qui les filme. Est-ce lui qui a enlevé la petite fille ? Sommes- nous dans un Fenêtre sur cour de l’ère numérique ? C’est plus compliqué, plus imprévisible, et c’est passionnant de bout en bout. Comme le dit le réalisateur : « Nous sommes habitués à voir des films qui, plus ils avancent, plus ils nous révèlent des choses. À la fin, on pense avoir résolu un mystère, trouver une réponse. Pour moi, c’est plus intéressant que plus l’on voit, moins l’on sait. C’est bien plus fidèle à la vie. Il s’agit de reconstruire un puzzle, mais on le fait toujours à travers notre propre jugement, nos intérêts, nos expériences. Ça ne peut être qu’incomplet. C’est ce qui me fascine au cinéma : l’infinie diversité des points de vue possibles. »
René Marx
Film singapouro-taïwanais de Yeo Siew-hua (2024), avec Lee Kang-sheng, Wu Chien-ho, Anicca Panna, Vera Chen. 2h05.