Sister Midnight de Karan Kandhari
La question du cinéma indien en Europe demeure une vaste interrogation, entre blockbusters évacués en catimini (RRR) et des films indépendants distribués, mais uniquement à la faveur de leur sélection dans des festivals internationaux, ce qui est le cas de ce dernier, présenté à la Quinzaine des cinéastes. Mais, comme la plupart des œuvres montrées à Cannes, Sister Midnight est surtout une production internationale, un long métrage suédois et anglais autant qu’indien, signé par un metteur en scène, Karan Kandhari, anglo-indien qui livre là sa première réalisation. Le ton du film est d’ailleurs proche de racines européennes, et rappelle souvent celui des récits du duo Dominique Abel et Fiona Gordon, notamment dans le l’humour froid, pince sans rire. Soit une jeune femme mariée sans amour à un fonctionnaire à la petite vie. Son existence devient rapidement monotone jusqu’à ce qu’une rencontre imprévue ne la transforme en vampire, lui faisant ainsi reprendre sa vie en main. Sur ce canevas, qui aurait pu dériver vers l’horreur ou le grand guignol, le réalisateur préfère un ton de comédie artisanale ironique. Le bricolage des effets visuels lui confère ainsi son étrange poésie de bric et de broc, tandis que l’histoire se construit en saynètes décalées. Derrière le prétexte fantastique, c’est bien évidemment une fable féministe que cherche à conter Kandhari, en faisant de l’émancipation de son héroïne le sous texte visible de toute l’affaire. La cohérence du propos est indéniable, et le film est incontestablement bien mené et pensé, mais tombe dans un piège assez classique pour ce genre d’approche basée sur la déconstruction (dramatique, horrifique) de ses propres enjeux. La mise en scène confine ainsi Sister Midnight dans un programme très fermé et structuré, qui lui confère son charme mais l’empêche aussi un peu de décoller.
Pierre-Simon Gutman
Film anglo-indien de Karan Kandhari (2025), avec Radhika Apte, Ashok Pathak, Chhaya Kadam. 1h50.