L’Aventura
Le cinéma de Sophie Letourneur est, depuis ses débuts, excessivement clivant,
sans doute parce qu’il s’entête à capter ce que le cinéma cache généralement
sous le tapis : des situations banales, des conversations triviales, des moments
sans panache ni éclat… en un mot, le flot continu de la vie, dans sa forme la plus
pure. Avec L’Aventura, elle remet obstinément le couvert, et systématise le
dispositif qu’elle avait expérimenté dans Voyages en Italie (auquel ce nouveau
film constitue une suite), à savoir celui du récit a posteriori. Les quatre
personnages, en vacances en Sardaigne, passent en effet leur temps à se
remémorer ce qu’ils ont fait la veille ou l’avant-veille, des lieux visités aux
activités pratiquées en passant par les menus, les trajets… et même leurs
mouvements intestinaux. On rit donc énormément devant le miroir que nous tend
la réalisatrice, nous caricaturant en parents débordés, en compagnons mesquins,
en enfants exaspérés ou insupportables. Si l’on y prête attention, cette banalité
du quotidien devient presque poétique, ou a minima touchante, témoignage sans
fard de ce qui constitue aussi (et parfois : surtout) l’existence humaine. En
documentant sans relâche cet aspect du réel, L’Aventura ne raconte peut-être
pas grand-chose, mais il capte tout : comment s’organisent les interactions
humaines, ce qu’est une dynamique de groupe, et – ce qui n’est pas la moindre de
ses qualités – ce que cela signifie de vivre sa vie au milieu des autres. Un jour,
peut-être, des archéologues du futur tomberont sur les films de Sophie
Letourneur, et ce jour-là, enfin, son cinéma de l’ordinaire et de l’infime trouvera
la reconnaissance qu’il mérite.
Marie-Pauline Mollaret
Film français de Sophie Letourneur (2025), avec Sophie Letourneur, Philippe
Katerine, Bérénice Vernet, Esteban Melero. 1h40.
