Critique

Publié le 22 mai, 2025 | par @avscci

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Jeunes mères de Luc et Jean-Pierre Dardenne

Cinq mineures confrontées à la maternité se croisent et se côtoient dans un foyer où elles tentent de réparer des traumatismes, des manques, des blessures et des peines. Il n’en faut pas davantage aux Dardenne pour se prendre d’empathie à l’égard de ces jeunes femmes contraintes de devenir adultes plus rapidement que leur âge ne devrait les y inciter. Des existences décousues où lorsque l’enfant paraît, c’est la vie de leurs jeunes mères qui bascule d’un coup dans l’inconnu et les contraint à régler leurs comptes avec leur passé, le plus souvent douloureux. Avec cet espoir de faire mieux et de conjurer une sorte de malédiction sociale et familiale par la résilience et l’amour qu’elles prodigueront à leurs enfants, sans nécessairement un modèle vertueux pour les guider. On retrouve là une problématique qui a déjà inspiré aux “frères” leur deuxième Palme d’or, L’Enfant, il y a tout juste vingt ans. À cette nuance près qu’ils gomment les composantes les plus rocambolesques de ce film au profit d’une étude de mœurs plurielle plutôt que vraiment chorale qui tend à dresser un état des lieux à partir d’une situation dont le caractère tragique aurait pu donner lieu à un traitement mélodramatique entre d’autres yeux. Le regard des réalisateurs se distingue en cela de celui de Ken Loach auquel on les compare parfois et avec lequel ils entretiennent des liens étroits, ne serait-ce que parce qu’ils coproduisent régulièrement les films du réalisateur britannique dont ils partagent davantage la conception sociale du cinéma que sa fonction politique, même si Rosetta a naguère inspiré une loi en Belgique.

Être fille pour devenir mère

Jean-Pierre et Luc Dardenne abordent ici de multiples composantes liées au statut de fille-mère, en les répartissant parmi une demi-dizaine d’entre elles afin d’évoquer les problèmes divers auxquels elles se trouvent confrontées du fait de leur situation spécifique. Ce parti pris s’accompagne par ailleurs d’un autre postulat qui consiste à ne jamais essayer d’instaurer des liens systématiques entre ces adolescentes et à noyer dans l’artificialité du collectif la puissance des individualités qui le composent. Leur solidarité apparaît plus ténue, mais ne s’impose jamais comme un remède. Chacune se trouve confrontée à ses problématiques personnelles et contrainte de mettre de l’ordre dans sa vie afin de pouvoir affronter ces responsabilités que représente une naissance pour des mères qui ne sont pas toujours sorties elles-mêmes de leur propre enfance, d’autant plus que le nouveau-né n’a pas toujours été désiré en pleine connaissance de cause. Par ailleurs, il n’y a pas toujours grand-chose à attendre des grands-parents, souvent défaillants et concentrés malgré eux sur leurs propres problèmes, et des compagnons immatures et souvent impressionnés par ces nouvelles responsabilités qu’ils n’ont pas anticipées ou se révèlent incapables d’assumer. Le film souligne ainsi avec une rare justesse le profond décalage qui sépare le plus souvent les filles des garçons à l’approche de l’âge adulte. Or c’est presque toujours à elles seules que revient la responsabilité de décider de donner la vie en s’engageant ainsi sur le long terme, quitte à se retrouver seules face à la plus grande responsabilité qui soit. Avec souvent en amont un conflit parental irrésolu qui fait de cette naissance la répétition d’une situation déjà vécue. Comme une malédiction qui se répéterait inlassablement sans servir de leçon.

Des vies en vrac

Malgré son sujet et les cas parfois dramatiques qui y sont abordés, Jeunes Mères évite tous les pièges inhérents à son sujet et ne bascule jamais du drame à la tragédie. Les Dardenne préfèrent montrer de fortes personnalités rompues au malheur, mais déterminées à donner à leurs bébés ce qui leur a tant manqué, même si elles se retrouvent dépourvues de références face à cette nouvelle responsabilité écrasante. La mise en scène souligne délicatement ce parti-pris en usant pour cela d’une constante retenue. Comme quand la caméra s’attarde sur un couple d’amoureux à moto et nous fait craindre à travers cet instant d’insouciance qu’un accident ne vienne briser ce rare moment de bonheur. Ce serait méconnaître la subtilité des frères qui n’ont pas besoin de ce genre d’artifices pour nous faire partager le mal-être voire la détresse de ces jeunes adultes trop vite montés en graine. Ils préfèrent le réalisme au naturalisme et le drame au mélodrame, sans jamais en abuser. Pas question de manipuler le spectateur. L’essentiel est de le placer à la hauteur des personnages pour lui faire partager leurs émotions. Et la distribution est ici, comme souvent chez eux, une pure merveille de justesse. Chacune de ces cinq jeunes filles témoigne du soin particulier qu’ils ont investi dans la recherche de l’interprète la plus juste, sans qu’aucune ne soit interchangeable ou puisse se confondre avec l’une des autres. On retrouve là l’une des qualités majeures de ces artistes à qui l’on doit entre autres la découverte de la regrettée Émilie Dequenne dont se montrent aujourd’hui les dignes héritières Babette Verbeek, Elsa Houben, Janaïna Halloy Fokan, Lucie Laruelle et Samia Hilmi, tant il convient de retenir leurs noms. Et si l’on pleure beaucoup dans ce film, c’est d’abord parce que ses protagonistes se trouvent en situation de vulnérabilité et que leur jeunesse leur laisse encore le choix des larmes. Et c’est tout à leur honneur d’accepter de se laisser submerger par leurs sentiments.

Jean-Philippe Guerand

Film belgo-français de Luc et Jean-Pierre Dardenne (2025), avec Babette Verbeek, Elsa Houben, Janaïna Halloy Fokan, Lucie Laruelle, Samia Hilmi, Fabrizio Rongione. 1h45.




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