Else de Thibault Emin
Un film OVNI. Cette expression cliché, convenue, crée une méfiance absolue tant elle est galvaudée. Mais elle est ici tellement parfaite, pertinente, que l’on est forcé, presque malgré soi, d’y recourir. Ce premier long métrage de Thibault Emin, présenté à Toronto, est d’une étrangeté radicale dans le cadre du cinéma français. Le schéma narratif est pourtant simple. Soit un tout jeune couple qui se barricade face à un étrange virus surgi de nulle part. Une intrigue guère originale dans ce monde post COVID anxieux. Mais la maladie en question est une fusion entre les gens et les choses qui les entourent, pour un résultat qui peut s’apparenter vaguement au body horror, sans le gore monstrueux, dans une démarche esthétique plus poétique qu’horrifique. Avec peu de moyens, le cinéaste crée un univers qui peut éventuellement rappeler le Lynch des origines, un monde monstrueux, surréel et onirique, où l’amalgame des chairs avec les textures s’oppose à l’humanité des sentiments animant les deux amoureux. Comme souvent dans les films de genre récents, la solitude est probablement le vrai croque mitaine de l’époque, le virus agissant comme une annihilation de soi par rapport au monde. Rester humain, rester amoureux, devient un objectif bien plus important qu’une superficielle survie devenue un faux enjeu. Les maladresses de l’œuvre, ses moyens parfois peu à la hauteur de son ambition, ne gâchent pas l’essentiel, cette description spectaculaire d’un monde défiguré par une connexion globale des êtres, des objets, qui apparaît finalement comme la plus effrayante des formes cauchemardesques de l’isolement absolu.
Pierre-Simon Gutman
Film français de Thibault Emin (2024), avec Mathieu Sampeur, Edith Proust, Lika Minamoto. 1h40.