Marco, l’énigme d’une vie d’Aitor Arregi et Jon Garaño
Les rapports qu’a entretenu l’Espagne avec la Shoah sont très particuliers. Parmi les quelque neuf mille citoyens de cette nationalité officiellement déportés, la plupart était en fait des réfugiés installés en France après la guerre civile et détenus dans des camps de concentration comme Rivesaltes. Le franquisme a par ailleurs empêché ensuite les rescapés considérés comme apatrides de regagner leur terre natale où ce sujet est resté un tabou tenace jusqu’à la disparition du Caudillo. Ce silence assassin a permis à un dénommé Enric Marco de se faire une place de choix parmi la communauté des déportés que son histoire personnelle lui a permis de représenter en toute légitimité. À un détail près, mais il est d’importance : il s’est avéré que cet homme a abusé d’une mémoire collective trop longtemps étouffée pour en devenir l’un des porte-parole. Passionnés par l’histoire de leur pays, les réalisateurs Aitor Arregi et Jon Garaño s’étaient fait remarquer avec Une vie secrète (2019). Marco, l’énigme d’une vie est le décryptage d’un abus de mémoire dont le responsable a peaufiné son scénario intime. Le film décrypte habilement les stratagèmes de ce personnage médiocre qui semble croire sincèrement à ses propres mensonges et auquel l’acteur Eduard Fernández confère une puissance de conviction déconcertante, quitte à prendre le risque de devenir haïssable. C’est dire combien ce portrait d’un mythomane cynique et calculateur nous prend à son piège. C’est en l’état un tour de force et un cas d’école pénible qui suscite un malaise dont la mémoire collective n’avait pas besoin.
Jean-Philippe Guerand
Marco. Film espagnol d’Aitor Arregi et Jon Garaño (2024), avec Eduard Fernández, Nathalie Poza, Chani Martín. 1h41.