Ingeborg Bachmann de Margarethe von Trotta
Compagne de route de la nouvelle vague allemande des années 70, Margarethe von Trotta se concentre depuis quelques années sur des biopics destinés à réhabiliter de grandes figures féminines et parfois féministes dont Rosa Luxembourg (1986) et Hannah Arendt (2012). Elle s’attaque dans son nouveau film à la poétesse Ingeborg Bachmann, aujourd’hui plus célèbre pour sa liaison avec le dramaturge suisse Max Frisch que pour son œuvre peu répandue en France. Cette personnalité poursuit d’ailleurs la réalisatrice depuis des années, au point de l’avoir citée en exergue des Années de plomb (1981) et d’avoir donné à déclamer à Sami Frey ses vers dans L’Africana (1990). Elle se concentre ici sur une demi-douzaine d’années de sa vie qui la mènent symboliquement des ténèbres d’un cauchemar au soleil éblouissant du désert. Avec cette problématique obsessionnelle des relations que pouvaient entretenir deux intellectuels dans une société encore patriarcale. Le film de Margarethe von Trotta s’appuie sur deux qualités majeures : sa reconstitution qui est un véritable enchantement pour les yeux et la composition impressionnante de Vicky Krieps dans le rôle-titre où son élégance éclate à chaque instant. Avec face à elle l’acteur allemand Ronald Zehrfeld qui incarne ici un Max Frisch machiste et stoïque, la pipe vissée au bec. Margarethe Von Trotta a le mérite de reconstituer une période de l’Allemagne rarement évoquée à l’écran sinon dans des comédies et des drames bourgeois d’un intérêt négligeable. Or, c’est par la reconstitution de l’état d’esprit de cette époque qu’elle souligne l’âpreté du combat de cette femme égarée dans un monde d’hommes jusqu’à sa mort prématurée à 47 ans.
Jean-Philippe Guerand
Ingeborg Bachmann – Reise in die Wüste. Film germano-helvéto-austro-luxembourgeois de Margarethe von Trotta (2023), avec Vicky Krieps, Ronald Zehrfeld, Tobias Resch 1h51.