Critique

Publié le 4 décembre, 2023 | par @avscci

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Soudain seuls de Thomas Bidegain

Thomas Bidegain s’est fait connaître comme scénariste, en premier lieu pour Jacques Audiard, contribuant à l’écriture de ses films Un prophète, De rouille et d’os, Dheepan et Les Frères Sisters. Il est passé à la réalisation en 2015 avec Les Cowboys, un drame – riche mais maladroit au niveau idéologique – avec moult personnages et décors. Pour son film suivant, il cherchait à raconter une histoire avec un nombre plus limité de protagonistes et dans un lieu unique. Le best-seller de la navigatrice Isabelle Autissier, Soudain seuls, lui a permis d’exaucer ce vœu et de se risquer au film d’aventures viscéral, ce que le film parvient à être lorsqu’il vise quelque chose de sensoriel mais perd de son intérêt lorsqu’il glisse trop près du mélodrame. C’est en Islande que Bidegain a trouvé le cadre hostile où un homme et une femme se retrouvent piégés alors qu’ils s’étaient lancés en amoureux dans un tour du monde supposé les mener en Amérique du Sud dans leur bateau d’envergure modeste. Se lancer dans une telle entreprise sans avoir beaucoup d’expérience sur les flots n’est pas vraiment une bonne idée. Ben et Laura vont le comprendre à leurs dépens en faisant un détour sur une île déserte, située dans les environs de l’Antarctique. Elle devient leur prison à ciel ouvert, magnifique certes, lorsqu’une violente tempête s’abat sur eux et emporte leur embarcation. Livrés à eux-mêmes, sans moyen de prévenir les secours, ils vont très vite souffrir du froid et de la faim dans un cadre glaçant à bien des titres. Très urbains, ils ne sont pas doués pour les travaux manuels et vont devoir apprendre des gestes oubliés comme fabriquer des outils pour chasser ou retaper un abri de fortune. Cette partie, réaliste, est plutôt bien vue, et on sent l’expertise documentaire du texte d’Isabelle Autissier derrière cet élément narratif. Le récit de cette survie concrète devient la métaphore de la survie d’un couple. Ce qui est plutôt réussi, c’est que ce couple semble bien fragile, probablement condamné à se séparer à brève échéance lorsque cette mésaventure leur tombe dessus. Face à la peur, ils s’engueulent, se font des reproches mais apprennent aussi à mieux savoir qui est l’autre, avec ses forces, ses faiblesses, sa singularité. Lui se montre vite moins solide, panique, prend de mauvaises décisions, se décourage, alors que sa compagne évolue et se montre bien plus sure d’elle. Elle croit ses déclarations lorsqu’il affirme que d’ici une dizaine de jours on viendra à leur rescousse et ne s’inquiète pas outre mesure avec cet espoir de secours relativement rapide. Elle montrera plus de robustesse en particulier dans le dernier acte, riche en suspense dans un premier temps mais pas assez crédible sur la longueur, notamment avec les astuces de scénario pour laisser croire que tout est perdu. C’est dommage car avec plus d’aspérités, ce film perd de son envergure. Gilles Lellouche et Mélanie Thierry sont les deux seuls êtres humains que nous verrons à l’écran, mais des manchots leur tiendront brièvement compagnie, n’ayant pas été prévenus par le cinéaste – le vilain – que ce n’est guère avisé lorsque les vivres sont rares et qu’on ne court pas très vite…

Pascal Le Duff

Film français de Thomas Bidegain (2023), avec Gilles Lellouche et Mélanie Thierry. 1h50.




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