Portrait Portrait de Richard Donner

Publié le 15 septembre, 2021 | par @avscci

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Portrait – De la télévision aux blockbusters : Richard Donner (1930-2021)

Richard Donner a dédié sa carrière au cinéma de divertissement, ces films que l’on prend plaisir à regarder et qu’il s’amusait à tourner. On lui doit le film de super-héros canonique (Superman), un classique de l’épouvante (La Malédiction) et un autre du film d’action (L’Arme fatale), un film pour enfants culte (Les Goonies) et quelques œuvres plus fragiles et méconnues (Rendez-vous chez Max’s, Radio Flyer). Retour sur le parcours d’un professionnel, disparu en juillet dernier.

Un réalisateur tout terrain

Richard Donald Schwartzberg est un gamin du Bronx. Il apprend la photo à l’armée puis étudie l’art dramatique et fait ses premiers pas Off Broadway. En 1951, le jeune acteur se dispute avec le réalisateur Martin Ritt lors des répétitions d’une dramatique télévisée. Constatant qu’il a du mal à se laisser diriger, Ritt lui conseille de passer de l’autre côté de la caméra et lui offre un poste d’assistant. C’est le début d’une nouvelle carrière pour Donner qui se fait la main sur des films institutionnels, des publicités, des documentaires et de nombreuses séries.

La télévision est l’école de l’efficacité, de la variété : du début des années 1960 au milieu des années 1970, Donner tourne du western (Au nom de la loi, Les Mystères de l’Ouest), de la comédie (Gilligan’s Island, Max la menace), de l’espionnage (Des agents très spéciaux), des séries judiciaires (Perry Mason) ou policières (Les Rues de San Francisco, Kojak). Il signe également six épisodes de la dernière saison de La Quatrième Dimension dont le réputé Cauchemar à 20 000 pieds, où le passager d’un avion de ligne est le seul à voir le monstre en train de grignoter l’aile de l’appareil.1

Très actif durant ce premier âge d’or de la télévision américaine (il réalise aussi plusieurs téléfilms), Donner tourne dès 1961 son premier long métrage de cinéma : X-15 met en scène un groupe de pilotes d’essai (parmi lesquels Charles Bronson) qui prennent tous les risques pour battre des records de vitesse et d’altitude. Cette ode à la recherche aérospatiale sur fond de Guerre froide utilise pour ses scènes de vol des images d’archives fournies par la NASA. Frank Sinatra fait partie des producteurs… Sept ans plus tard, Donner tourne son deuxième film avec deux autres membres du Rat Pack, Sammy Davis Jr. et Peter Lawford. Ils incarnent dans Sel, poivre et dynamite les patrons d’un night-club londonien embringués dans une affaire d’espionnage.2 Pur produit du Swinging London, le film est un joyeux mélange de comédie, d’explosions et de numéros musicaux. Donner reste à Londres pour son film suivant, Twinky, où il retrouve Charles Bronson et lui offre un des rares contre-emplois de sa carrière : le comédien, tout juste sorti d’Il était une fois dans l’Ouest, interprète un romancier américain qui ramène au pays son épouse anglaise, âgée de… 16 ans (Susan George, 20 ans, trouve là le premier de ses rôles sulfureux). Twinky est une comédie romantique d’un autre temps, le reflet d’une époque où la libération sexuelle pouvait servir d’alibi aux situations les plus graveleuses. Dans une des premières scènes du film, l’adulte accueille l’adolescente dans son lit avec ces mots : « Tiens, tu n’es pas à l’école ? », avant de l’envoyer à la cuisine préparer le petit-déjeuner, une tape sur les fesses en prime. Le repas finira brûlé car la nymphette – dont la naïveté confine souvent à la bêtise – est incapable de mener la vie d’adulte qui s’ouvre à elle.

Le démon et le demi-dieu

Les deux premiers films tournés par Donner en Angleterre sont aujourd’hui oubliés. Le troisième va par contre marquer un tournant dans sa carrière. La Malédiction, dans lequel l’ambassadeur des États-Unis à Londres découvre que son fils adoptif est l’Antéchrist, marche sur les brisées de Rosemary’s Baby et L’Exorciste. Donner est pourtant loin du Nouvel Hollywood : il dirige des stars du cinéma classique (Gregory Peck et Lee Remick) et refuse l’horreur graphique (à l’exception d’une scène gore marquante). Il privilégie les longues séquences de suspense, où l’angoisse est portée par la musique grandiose de Jerry Goldsmith. Le surnaturel est abordé de façon réaliste, au travers de l’enquête visant à établir l’origine satanique de l’enfant.

Le succès de La Malédiction (qui engendrera suites et remakes) permet à Donner de se consacrer entièrement au cinéma. Il est alors contacté par le producteur Alexander Salkind, à la recherche d’un réalisateur pour son film Superman, dont le tournage doit commencer sous peu. Donner, qui a grandi avec le personnage de bande dessinée apparu en 1938, accepte le projet mais refuse d’être un simple exécutant.3 Il rejette le travail de préparation effectué par le britannique Guy Hamilton (Goldfinger), revoit le scénario, exige une amélioration des effets spéciaux et engage, contre l’avis des producteurs, un parfait inconnu pour le rôle-titre. Cet inconnu, c’est Christopher Reeve et il sera parfait.

À une époque comme la nôtre où les films de super-héros, devenus pléthoriques, sont en majorité des produits standardisés, peu signifiants, de moins en moins spectaculaires et divertissants, il faut se souvenir à quel point Superman fut une œuvre novatrice et d’une rare ambition. Le personnage de Superman est à l’époque considéré comme enfantin mais Donner conçoit envers et contre tous son film comme une œuvre de prestige, dont le générique aligne les grands noms : Marlon Brando ; le scénariste Mario Puzo, qui sort du triomphe du Parrain ; Geoffrey Unsworth, le chef opérateur de 2001, l’odyssée de l’espace, qui apporte au film sa science des effets spéciaux et des paysages cosmiques, acquise auprès de Stanley Kubrick ; le compositeur John Williams dont l’ampleur symphonique et la richesse thématique de la musique apportent de la noblesse à un sujet issu de la culture populaire.4

Avant le Superman de Donner, il n’existe aucune adaptation de comics en prise de vues réelle satisfaisante, ni les sérials à petit budget des années 1940, ni la série télévisée des années 1950 et encore moins le Batman parodique des sixties. Le réalisateur a donc l’opportunité, rare dans l’histoire du cinéma, de tout inventer, de créer de toute pièce un nouveau type de film et le style visuel qui lui est approprié, capable de concilier l’irréalisme de la bande-dessinée avec la crédibilité attendue d’un film de cinéma.

Le choix de Donner d’inscrire les exploits de Superman dans un quotidien vraisemblable est tellement marquant qu’il sert encore de référence aux films de super-héros actuels, des X-Men de Bryan Singer5 au Batman de Christopher Nolan et à la plupart des productions Marvel. Le réalisateur prend son temps et accompagne de façon progressive le public dans sa découverte d’univers visuels bien distincts les uns des autres. L’ouverture sur Krypton (planète natale de Superman) est une pure vision de science-fiction alors que l’enfance du héros sur Terre s’inscrit dans des paysages ruraux qui renvoient à une image mythifiée de l’Amérique. Lorsque Clark Kent/Superman arrive dans la grande ville de Métropolis, l’esthétique du film change encore du tout au tout pour adopter un réalisme urbain typique des années 1970. Les bureaux du Daily Planet où travaille Clark ressemblent à ceux du Washington Post dans Les Hommes du président, mais la verve des journalistes évoque plutôt La Dame du vendredi. Donner trouve ainsi un équilibre entre l’époque de l’âge d’or des comics et d’Hollywood (les années 1940) et celle de la réalisation de son film. Les scènes d’action sont quant à elles influencées par les films catastrophe, auxquels est habitué le public des seventies (déraillement de train, catastrophes naturelles).

Le tournage de Superman est long, coûteux et compliqué. Donner tourne en même temps le premier film et sa suite (une démarche inédite à l’époque) et gère une dizaine d’équipes différentes, sans avoir la main ni le budget ni sur le planning, ce qui provoque des tensions avec ses producteurs. Après la sortie événement du premier épisode, il est renvoyé de Superman II dont il a pourtant déjà tourné la majeure partie. Richard Lester le remplace, tourne de nouvelles scènes d’action (l’ouverture sur la Tour Eiffel), fait disparaître le personnage de Marlon Brando (en conflit avec la production pour des questions de cachet) et surtout altère la tonalité dramatique voulue par Donner en ajoutant des scènes comiques. Le montage original (mais incomplet) de Richard Donner sera finalement reconstitué en 2006, ce qui permet de comparer les deux films et les approches diamétralement opposées de leurs réalisateurs, par exemple sur la scène, centrale, où la journaliste Lois Lane comprend que son collègue Clark Kent n’est autre que Superman : chez Donner, elle tire au pistolet sur Clark pour le forcer à révéler son invulnérabilité (et prend le risque de tuer son ami si elle se trompe) ; chez Lester, Clark dévoile son pouvoir malgré lui lorsqu’il se prend les pieds dans un tapis, tombe dans un feu de cheminée et se relève sans une égratignure. Un gag convenu mais surtout un profond contresens puisque Lester présente le surhomme comme aussi maladroit que n’importe quel humain.

L’art de la chute

Rendez-vous chez Max de Richard DonnerAprès l’expérience amère de Superman II, Donner signe Rendez-vous chez Max’s, un film modeste par ses moyens et son sujet, qui apparaît comme l’antithèse du film de super-héros. Dans la première scène, un homme se jette du haut d’un immeuble mais contrairement au Kryptonien, il ne s’envole pas et s’écrase au sol. Il ressort boiteux de l’hôpital et trompe sa solitude dans bar fréquenté par un groupe de personnes handicapées6. L’échec financier de ce beau film sera sans appel, comme le sera douze ans plus tard celui de Radio Flyer, que Donner considérait comme l’un de ses meilleurs films. Les deux films ne se ressemblent pas mais partagent le même chef opérateur (László Kovács), le même acteur (John Savage) et on retrouve au détour d’une scène de Radio Flyer un personnage qui boite après une chute dans le vide. Radio Flyer se déroule au début des années 1960 et est, après l’enfance de Superman, une nouvelle occasion pour Donner de montrer son talent pour filmer avec tendresse et nostalgie l’Amérique profonde. Le film raconte l’histoire de deux frères victimes de la violence de leur beau-père, un homme alcoolique et brutal dont le réalisateur, de façon audacieuse, parvient à masquer le visage durant tout le film.

Les sujets dramatiques de Rendez-vous chez Max’s et Radio Flyer sont abordés avec une étonnante bonne humeur. Rendez-vous chez Max’s, qui débute par une tentative de suicide, pourrait être le film de la mort et des amitiés déçues mais devient une histoire de camaraderie, qui s’achève sur un grand éclat de rire. Pour échapper à leur quotidien douloureux, les enfants de Radio Flyer se tournent vers le ciel et construisent un aéronef de bric et de broc. On pense au héros solitaire d’E.T., auquel Donner rend hommage en filmant un vélo volant. Le plus jeune des frères s’envolera à bord de son petit avion pour échapper à son bourreau, et ne redescendra plus jamais sur la terre ferme. Cette fin irréaliste est peut-être métaphorique (si l’enfant est mort sous les coups de son beau-père, son départ dans les airs pourrait prendre un tout autre sens) mais elle permet surtout à Donner d’achever son drame sur une note positive, un sentiment de plénitude.

Si l’on met de côté La Malédiction, ce profond optimisme est l’une des principales caractéristiques du cinéma de Donner. Superman est un être de lumière, l’incarnation de l’ordre et de la justice. L’Arme fatale raconte comme Rendez-vous chez Max’s la rédemption d’un homme suicidaire : un policier dépressif reprend goût à la vie au contact de son partenaire plus âgé, qui lui ouvre les portes de son foyer.

Le roi du gag

Après Rendez-vous chez Max’s, Donner fait un nouveau grand écart stylistique en réalisant Le Joujou qui n’est autre que le remake du Jouet de Francis Veber. Le film suit platement la trame de l’original avec un changement majeur : le rôle du « jouet » (un chômeur embauché pour réaliser les désirs d’un gosse de riche) est interprété par le comique afro-américain Richard Pryor. Acheter une personne noire aux États-Unis (le film se déroule en Louisiane) n’a évidemment pas la même signification que de se payer les services d’un grand blond en France, et Le Joujou est autant une dénonciation de l’argent roi (comme chez Veber) qu’une satire de l’esclavage et du racisme, où des membres du Klu Klux Klan reçoivent des tartes à la crème.

Bien qu’il soit essentiellement connu pour ses films d’aventure et d’action, Richard Donner aimait la comédie, et pas la plus fine. Il rend régulièrement hommage aux Trois Stooges, les rois de la blague lourde, qui apparaissent à la télévision dans L’Arme fatale 2 et Radio Flyer et en jeu vidéo dans L’Arme fatale 3. Dans L’Arme fatale 2, le duo Mel Gibson/Danny Glover se transforme en trio avec l’arrivée du cabotin Joe Pesci, martyrisé d’une façon burlesque qui s’inspire des Stooges (tapes sur la tête, doigts dans les yeux, nez pincé). Le réalisateur intègre des scènes comiques dans la plupart de ses films : il désamorce par l’humour les dangers mortels traversés par les jeunes héros des Goonies et ne prend pas au sérieux le western dans Maverick, avec ses fausses bagarres de saloon et ses Indiens civilisés qui se déguisent en sauvages pour escroquer les touristes. L’humour est également omniprésent dans Superman : Donner ne rit jamais de son héros (contrairement à Richard Lester) mais se moque volontiers de son ennemi Lex Luthor, mégalomane entouré d’incompétents, dont les plans de domination du monde sont à la fois réellement dangereux et complètement ridicules. Le général Zod, méchant du deuxième film dont les pouvoirs égalent ceux de Superman est par contre traîté avec un sérieux qui contraste avec la bouffonnerie de Luthor.

Entre les deux premiers volets de L’Arme fatale, Donner revient à la comédie, teintée de fantastique : Fantômes en fête est une version moderne du Chant de Noël de Dickens, transposée dans le monde de la télévision. Bill Murray interprète un patron de chaîne cynique, Scrooge new-yorkais visité par trois fantômes. Une fois encore, c’est en faisant face à la mort que le personnage reprend goût à l’existence.

Fantômes en fête témoigne comme Les Goonies du goût de Donner pour l’humour macabre, que l’on retrouve dans la série des années 1990 Les Contes de la crypte qu’il coproduit et dont il réalise quelques épisodes. Cette anthologie d’histoires horrifiques adaptées des bande-dessinées EC Comics marque le retour du réalisateur sur le petit écran et le place une nouvelle fois après Superman en position de passeur de la culture pulp.

Les héros des années 80

Au mitan des années 1980, Ladyhawke, la femme de la nuit, Les Goonies et L’Arme fatale marquent le retour de Donner au grand spectacle, et font partie de ses films les plus appréciés.

Ladyhawke est un film médiéval qui hésite entre le romantisme merveilleux (l’histoire d’amour maudite entre un chevalier et sa promise) et l’aventure guerrière (la vengeance du chevalier). Comme pour Superman, Donner tente de concilier classicisme et modernité mais aboutit cette fois-ci à un étrange hybride : un film de chevalier avec une musique rock et des couleurs saturées qui évoquent selon les scènes le Technicolor d’antan ou l’esthétique du vidéoclip (couchers de soleil orange, nuits bleues).

Les Goonies et L’Arme fatale, qui permettent au réalisateur de renouer avec le succès, sont d’abord des films de producteurs. Les Goonies, où une bande de gamins explore un souterrain rempli de pièges à la recherche d’un trésor pirate, porte la patte de Steven Spielberg. C’est une version enfantine d’Indiana Jones, un Tom Sawyer pour la génération BMX. La réussite de L’Arme fatale est due à la conjonction de multiples talents : le scénariste Shane Black et ses dialogues imparables, le producteur spécialiste du film d’action Joel Silver, et la complicité des deux acteurs vedettes, qui ne s’est jamais démentie au fil des épisodes. Sur les deux films, Donner fait office de maître d’œuvre, emballe des scènes d’action efficaces et encourage les improvisations de ses acteurs, enfants comme adultes, dont l’amusement transparaît à l’écran.

L’Arme fatale se situe au croisement entre deux genres : le film d’action urbain, avec cascades et explosions, incarné par le personnage de Martin Riggs (Mel Gibson), et la comédie sur une famille de la classe moyenne, celle de son acolyte Roger Murtaugh (Danny Glover). Soit la rencontre contre-nature de L’Inspecteur Harry et du Cosby Show, où les scènes d’action font voler en éclat le cadre familier de la banlieue résidentielle : à la fin du premier film, Riggs livre un combat à mort sur la pelouse de son partenaire et, dans le deuxième, Murtaugh participe à des poursuites destructrices avec son break familial avant de voir sa salle de bain détruite par une bombe.

Après L’Arme fatale, Hollywood ne jure plus que par le buddy movie, ce sous-genre du film d’action qui réunit deux héros aux caractères opposés. Les trois suites du film effacent peu à peu la noirceur et la brutalité de l’original : les tourments de Riggs s’apaisent grâce à une vie de famille épanouie et les scènes d’action violentes sont remplacées par des cascades burlesques, spectaculaires mais inoffensives. Dans les épisodes 3 et 4, fusillades et poursuites alternent mécaniquement avec des intermèdes comiques, au point que l’on finit par se demander comment les policiers peuvent faire preuve d’une telle décontraction alors qu’ils enquêtent sur des trafics d’armes ou d’êtres humains.

L’esprit d’équipe

L'arme Fatale de Richard DonnerAu fil des épisodes, le duo de L’Arme fatale est rejoint par de nouveaux personnages qui finissent par composer une grande famille. De façon symptomatique, le grand final de L’Arme fatale 4 n’est pas consacré à la mort du méchant mais aux naissances du fils de Riggs et du petit-fils de Murtaugh. L’attachement à des groupes de personnages est une autre caractéristique du cinéma de Donner : les clients du bar de Rendez-vous chez Max’s, la bande des Goonies, la famille de L’Arme fatale. Les génériques de Rendez-vous chez Max’s et L’Arme fatale 4 défilent sur des photos de tournage, une façon pour le réalisateur de rendre hommage à son équipe. Sur l’un des clichés de L’Arme fatale 4, les policiers posent en compagnie de leur commissaire interprété par l’acteur Steve Kahan, qui n’est autre que le cousin de Donner et un habitué de ses films. Les deux hommes se ressemblent physiquement au point qu’on a l’impression que c’est le réalisateur lui-même qui a rejoint à l’image ses personnages.

Il régnait sur les tournages de Donner une ambiance presque familiale, et les anecdotes sont nombreuses sur la générosité du réalisateur, qui finança les études de droit d’un des jeunes interprètes des Goonies et qui « chassa » un technicien du plateau de Prisonniers du temps pour que celui-ci puisse passer plus de temps avec son fils.

Donner était aussi apprécié à Hollywood pour son engagement politique, démocrate, antiraciste et écologiste, auquel il ne manquait jamais de faire référence dans ses films qui n’avaient pourtant pas le profil d’œuvres engagées. Des slogans contre l’apartheid sont affichés dans des coins du décor de L’Arme fatale et Fantômes en fête, avant que des Afrikaners soient les méchants de L’Arme fatale 2. Dans L’Arme fatale 3, ce sont plusieurs messages anti-fourrure qui apparaissent à l’image, ainsi qu’un T-shirt pro-choice porté par une adolescente.7 La famille Murtaugh refuse de manger du poisson pour sauver les dauphins dans L’Arme fatale 2 et Donner a produit avec son épouse la série de films Sauvez Willy, narrant l’amitié entre un enfant et une orque prisonnière d’un parc aquatique.

Derniers (coups de) feux

Après L’Arme fatale, Donner devient le complice régulier des facéties de Mel Gibson, qu’il retrouve dans Maverick et Complots, un thriller paranoïaque sur fond de lavage de cerveaux et d’assassinat politiques, qui offre à l’acteur l’un de ces rôles de dingues dans lesquels il excelle.

Les derniers films de Donner donnent l’impression que le réalisateur était dépassé par les évolutions du cinéma d’action. Pour Assassins (où s’opposent deux tueurs à gages interprétés par Sylvester Stallone et Antonio Banderas), Donner bénéficie d’un scénario des Wachowski, les futures créatrices de Matrix. Un scénario qu’il trouve trop compliqué et qu’il fait entièrement réécrire. Le réalisateur était également hermétique à l’influence grandissante du cinéma asiatique et reconnaissait ne pas avoir su comment filmer les capacités martiales de Jet Li, le méchant de L’Arme fatale 4. Prisonniers du temps lui échappe et comme Superman II, est remonté par ses producteurs. Cette adaptation d’un roman de Michael Crichton était un retour au Moyen-âge après Ladyhawke, couplé cette fois-ci à de la science-fiction, avec des savants modernes projetés en pleine Guerre de cent ans.

Richard Donner termine sa carrière en mettant en scène un héros fatigué mais intègre, ce qui lui convient bien : dans 16 blocs, Bruce Willis dispose de deux heures pour accompagner au tribunal un témoin gênant, traqué par des policiers corrompus. Cette chasse à l’homme débute de façon enthousiasmante, en plongeant ses personnages dans l’agitation des rues de New York, avant que de longues scènes dialoguées, plus statiques et censées approfondir les caractères, ne coupent court à cette énergie.

Le long apprentissage télévisuel de Donner a entraîné un décalage temporel dans sa carrière : il a connu ses plus grands succès dans la seconde moitié des seventies et les années 1980, alors qu’il avait dix, voire quinze ans de plus que les réalisateurs avec lesquels il partageait les sommets du box-office (William Friedkin, Steven Spielberg et George Lucas, Walter Hill). Malgré son grand âge, le réalisateur ne se considérait pas « trop vieux pour ces conneries » et annonçait régulièrement son envie de réaliser un cinquième Arme fatale et de retrouver ainsi sa famille de cinéma.8

SYLVAIN ANGIBOUST

1. Cet épisode, écrit par Richard Matheson, fera l’objet d’un remake réalisé par George Miller dans le film à sketchs La Quatrième Dimension (1984).

2. Une suite sera réalisée par Jerry Lewis : One More Time (1970).

3. Richard Donner a aussi participé à l’écriture de quelques comics Superman entre 2006 et 2018.

4. Ajoutons le nom moins connu et tout aussi important du monteur Stuart Baird. Collaborateur régulier de Donner (sept films à partir de La Malédiction), Baird confère un grand dynamisme aux scènes de vol de Superman, en multipliant les axes et les échelles de plan. Baird est un spécialiste du film d’action, dont l’expertise est recherchée jusque dans les James Bond récents (Casino Royale, Skyfall).

5. La saga X-Men de la Fox (six films auxquels s’ajoutent les dérivés consacrés aux personnages de Wolverine, Deadpool et des Nouveaux mutants) est produite par Lauren Shuler-Donner, l’épouse du réalisateur, qu’il avait rencontrée sur le tournage de Ladyhawke.

6. Donner fait pour l’occasion sortir de sa retraite Harold Russell, l’acteur non-professionnel et manchot des Plus belles années de notre vie, qui apparaît pour la première fois à l’écran depuis le chef-d’œuvre de William Wyler 35 ans plus tôt.

7. Le réalisateur s’amusait aussi à citer à ses propres films : des références à Superman sont visibles dans Rendez-vous chez Max’s, Le Joujou et Les Goonies, une affiche de X-15 apparaît sur la façade d’un cinéma dans Radio Flyer, un épisode des Contes de la crypte dans L’Arme fatale 2 et, dans Complots, Mel Gibson se cache dans une salle de cinéma diffusant Ladyhawke.

8. La franchise sera finalement déclinée en série télévisée entre 2016 et 2019, sans aucun membre de l’équipe originale.




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