Critique

Publié le 7 octobre, 2023 | par @avscci

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Lost in the night d’Amat Escalante

Quand on appose le terme « thriller » à l’adjectif « mexicain », on pense aussitôt aux narcotrafiquants qui sèment la terreur plus souvent qu’à leur tour au sud du Rio Grande. Ils sont ici quasi absents, et si Lost in the night (Pourquoi donner un titre anglais ? Perdus dans la nuit n’aurait en rien fait dévier l’idée de départ) est un grand thriller, c’est avant tout un film qui ne se laisse pas cerner, et même qui nous emmène ailleurs dès que nous pensons l’apprivoiser. Tout démarre par une grève dans une mine de province, où l’éternel débat entre ceux qui craignent la fin du monde et ceux qui pensent d’abord à la fin du mois se pose avec acuité. Une telle acuité que celle qui mène la lutte écolo est arrêtée nuitamment pour ne plus réapparaître. L’essentiel du film se déroule trois ans plus tard, quand le rejeton de la militante disparue se fait accidentellement embaucher par les grands bourgeois du coin, qui sont par ailleurs les propriétaires de la mine. L’affrontement, la tragédie, la mort pointent le bout de leur museau, mais pas tout de suite. Escalante (dont nous n’avions pas de nouvelles depuis sept ans et sa Région sauvage, primé à Venise) brouille les cartes et croise dans un premier temps une réflexion sur la lutte des classes (que le Renoir de la Règle du jeu n’aurait pas renié), une tranche d’éducation sentimentale (notre héros encore adolescent est en couple avec une fille de son rang, mais ne reste pas insensible au charme de la fille des patrons, d’autant plus séduisante que particulièrement paumée) et un soupçon de mystère agathachritien (la disparition de la mère trois ans plus tôt est loin d’avoir livré ses secrets). La tragédie est d’autant plus grande que les personnages ne sont jamais taillés d’un bloc et qu’il nous faut du temps pour que soit révélée leur nature profonde. Elle est d’autant plus belle que l’essentiel se situe dans un endroit qui semble hors du monde, une villa délire d’architecte au bord d’un lac superbe. Jusqu’à ce que l’un et l’autre suscitent une angoisse qui nous étrille… Magistral.

Yves Alion

Perdidos en la noche. Film mexicain d’Amat Escalante (2023), avec Juan Daniel Garcia Trevino, Ester Exposito, Barbara Mori. 2h.




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