Critique

Publié le 19 décembre, 2023 | par @avscci

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Les Colons de Felipe Gálvez Haberle

Le concept même de western révisionniste est si intimement lié à la question de l’identité américaine, de sa culture, que de le voir utilisé pour décrire un premier long métrage chilien semble potentiellement hors de propos. Pourtant, ce sont bien les mêmes espaces, les mêmes thèmes (pouvant notamment rappeler La Porte du paradis) qui sont ici évoqués, mais justement déployés dans une perspective radicalement autre, constituant ainsi le socle probable de l’œuvre. La trame reste reconnaissable : un homme d’affaires ambitieux veut récupérer des terres et mandate, pour cela, des tueurs, chargés de nettoyer les lieux de ses premiers habitants. Mais le schéma est fort différent. Il ne s’agit ici en effet non pas tant de remettre en cause des figures traditionnelles faussement héroïques (le cow boy) que de redonner une voix, une réalité, à ceux qui ont été annihilés. La violence, l’agression sexuelle (qui va se retourner contre l’agresseur) sont perçus à travers les yeux d’un jeune Chilien, témoin et complice forcé. Mais dans cette version chilienne d’un récit digne de Cormack McCarthy, le ridicule accompagne toujours la violence la plus terrifiante, avec en point de mire la construction d’une nation qui ne naît pas sur des mythes. A la fin du film, des images primitives de cinéma font apparaître le jeune homme, principal protagoniste, qui réussit enfin à faire surgir son visage, à défaut de sa voix, dans le grand récit de l’histoire. Les Colons est donc l’anti Naissance d’une nation, la vision brutale et grotesque d’une violence à laquelle n’est même pas donnée la grandeur de la démystification, juste la sécheresse de morts et de souffrances absurdes.

Pierre-Simon Gutman

Los Colonos. Film chilien de Felipe Gálvez Haberle, avec Stefano Centini, Thierry Lenouvel, Santiago Galleli. 1h37.




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