Critique

Publié le 7 mars, 2024 | par @avscci

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La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir

La reconstitution de l’histoire par le biais de figurines, jouets ou maquettes, n’est pas tout à fait une idée nouvelle. Elle a été plusieurs fois explorée ces dernières années, sous divers aspects et pour revisiter certaines périodes, toujours tragiques, avec en creux une question essentielle : comment filmer l’irreprésentable ? Cette fois, c’est la cinéaste Asmae El Moudir qui tente d’y répondre, avec face à elle un lourd passif historique lié aux traumas subis par sa famille durant les terribles répressions au Maroc au début des années 1980. L’auteure ne dispose d’aucune archive, pas de la moindre photo, mais le surgissement des blessures enfouies prend la forme d’une maquette du vieux quartier de Casablanca construite par son père. La mère a fabriqué les costumes portés par les figurines et, sous les yeux de la famille ou même des visiteurs, une étrange représentation a lieu, contre l’avis de la grand-mère, hostile envers ce jeu qui touche à des choses qu’elle voudrait de toute évidence enfouir. Cette idée de vérité par la médiation est fascinante et hautement cinématographique, en faisant du faux, de la fiction pure incarnée par d’improbables jouets, le moyen de reconstituer un monde, un souvenir, des traumas, et de redonner, ne serait-ce qu’un instant, une voix aux disparus. Le long métrage n’est néanmoins pas toujours à la hauteur de son sujet, en imposant une mise en scène très affectée, parfois presque spectaculaire, sur-soulignant par des effets un dispositif fragile qui n’avait peut-être pas besoin de ces mouvements visuels ou sonores pour exister.

Pierre-Simon Gutman

Film documentaire d’Asmae El Moudir (2023), avec Asmae El Moudir. 1h37.




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