Critique

Publié le 4 décembre, 2023 | par @avscci

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La Chimère d’Alice Rohrwacher

Arthur, un Anglais mutique et absent à lui-même, revient dans le petit village d’Étrurie où vivait sa fiancée disparue, et où il se livre, en compagnie d’autres laissés pour compte, au pillage de tombes étrusques. Inlassablement, Alice Rohrwacher filme les visages qui débordent du cadre étroit, les lieux qu’ils arpentent en bande joyeusement désorganisée, et les célébrations (fêtes, processions ou chansons de gestes) qui ponctuent leur quotidien. Avec une forme d’humour et de nonchalance, et surtout beaucoup de douceur, elle campe une magnifique galerie de personnages blessés par la vie et propose un conte allégorique bouleversant autour du deuil. Comme dans ses films précédents (Les Merveilles, Heureux comme Lazzaro), le récit se situe à la frontière entre deux mondes : l’un sacré, ancien, inaccessible ; l’autre profane, exubérant, terre à terre. Les Tombaroli, ceux qui dépouillent l’âme des morts pour assurer leur propre survie, servent de lien, peut-être même de point de passage entre les deux, et c’est ce qui attire Arthur, lui-même à la recherche d’une porte vers l’au-delà bien plus que de la fortune. Peut-être pressent-il avant ses camarades que le système dont ils espèrent profiter, celui du marché clandestin des antiquités, n’a aucune intention de leur offrir une vie meilleure. L’exploitation ne va jamais que dans un sens, et s’ils pensent s’acheter un avenir en soldant un passé qui ne leur évoque plus rien, ils ne font en réalité que reproduire à l’infini un modèle de domination plus vieux encore que les vestiges qu’ils convoitent.

Marie-Pauline Mollaret

Film italien d’Alice Rohrwacher (2023) avec Josh O’Connor, Carol Duarte, Isabella Rossellini. 2h13.




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