Critiques DVD La môme singe de Xiao-Yen Wang

Publié le 4 juin, 2020 | par @avscci

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Entretien – La Môme singe de Xiao-Yen Wang

Une affaire de famille

Entretien avec Xiao-Yen Wang

Les choses ont-elles changé pour votre famille quand Mao est mort en 1976, laissant la place à ses successeurs ?

Xiao-Yen Wang : Oui, mais pas immédiatement. Les changements sont apparus petit à petit. Mais il y a eu une transformation immédiate pour nous : nous étions enfin autorisés à aller au collège. Avant cela, n’étaient admis que les enfants d’ouvriers ou de soldats. Après la Révolution culturelle (1966-1976), les universités et les collèges ont rouvert leurs portes pour toute la jeunesse.

C’est ainsi que vous êtes devenue étudiante, d’abord en arts graphiques, puis en cinéma…

X.-Y. W. : J’ai commencé par l’école de cinéma, en fait. J’étudiais la direction artistique. J’avais pour mission de dessiner des décors, de faire des storyboards. Mais j’avais le désir de faire des films à partir de mes propres histoires. Pendant longtemps, cela est resté impossible. Mais cela n’avait pas d’importance. Je savais que j’avais ce désir de cinéma au fond du cœur. Quand j’ai rencontré mon mari, et que nous avons commencé à travailler ensemble, nous avons monté une petite société, le Beijing San Francisco Film Group, et j’ai réalisé mon premier documentaire, l’un des premiers films consacrés aux transsexuels, qui explorait leur psychologie, leur esprit. Ils m’ont réservé un très bel accueil. Ce film m’a donné confiance en moi. D’autant que nous avons reçu pas mal de récompenses aux États-Unis. Mon mari m’a demandé : « Et maintenant, que veux-tu faire ? ». « Ah ! Je voudrais tourner La Môme singe ». Il m’a demandé quel en était le sujet et comment je voulais procéder. C’est comme cela que le film est né.

Vous avez signé un second long métrage de fiction, en 2006, également très autobiographique…

X.-Y. W. : I’m seducible est également basé sur ce qui m’est arrivé. J’étais une jeune artiste, une jeune femme, qui venait d’immigrer aux États-Unis. Je suis arrivée en 1985, le 31 juillet pour être exacte. Au moment de mon arrivée, j’étais d’une certaine manière reconnue comme artiste en Chine. Mais en changeant de pays, je retombais en enfance. J’ai dû apprendre une nouvelle langue, une nouvelle culture. Et même les choses du quotidien…

C’était agréable ?

X.-Y. W. : Cela ne me dérangeait pas vraiment. Mais en même temps quand j’y pense, je ne suis pas certaine que je le referais. Il fallait tout réapprendre depuis le début.

L’éloignement de la Chine était-il pénible, même si vous y retourniez de temps à autre ?

X.-Y. W. : Je n’y suis pas retournée pendant sept ans… En fait, j’ai remis le pied sur le sol chinois pour faire La Môme singe… C’est vrai qu’en renouant avec la Chine, j’ai eu comme un choc culturel inversé. Beaucoup de choses m’étaient désormais intolérables. On me disait que tout était normal, que c’est ainsi que les Chinois vivaient. Il m’a fallu un peu de temps pour retrouver mes marques.

C’est l’histoire de I’m seducible. Qui est différent de La Môme singe, et beaucoup moins linéaire. Dans ce second film il y a beaucoup de va-et-vient temporels, et aussi des rêves et des fantasmes…

X.-Y. W. : Le film navigue entre le présent et le passé. Le récit est entrelardé de nombreux flash-backs. C’est au spectateur de s’y retrouver. Je n’ai pas cherché à donner des explications. Parfois nos pensées divaguent et les souvenirs se mélangent au présent. J’ai tenté d’imprimer une forme qui épouse ces mouvements de l’esprit. Quand on voyage dans un pays étranger, on passe son temps à comparer les usages du pays et la façon dont cela se passe chez soi. I’m seducible, c’est la peinture des pensées de cette femme, dont l’esprit va et vient en permanence. On la voit prendre confiance, s’intégrer dans une société nouvelle, troquer sa culture d’origine pour une autre, qui est en fait un mélange de deux cultures différentes.

Votre esprit est-il toujours aussi mouvant ?

X.-Y. W. : Oui, je pense. Et je retourne en Chine très souvent. Et à chaque fois je me rends compte de ce qui n’est pas possible. Aux États-Unis, on peut faire ça… et ça…

Vous êtes chez vous dans les deux pays, ou bien êtes-vous une étrangère dans les deux pays ?

X.-Y. W. : J’ai la nationalité américaine maintenant, j’ai perdu ma nationalité chinoise. Aux États-Unis, jeme sens plutôt adaptée, même si mon anglais est encore loin d’être parfait. Je pourrais écrire un roman en anglais. Mais tout mon bagage chinois remonterait à la surface.

Diriez-vous que vos films sont plus chinois qu’américains par leur humeur, au-delà de ce qu’ils racontent ? Ce ne sont pas des blockbusters, des films d’action…

X.-Y. W. : Je le crois, oui. Mes films comportent des séquences lyriques, qui expriment des émotions. Si je devais faire des films hollywoodiens, je pense qu’il faudrait donner davantage de place aux dialogues. Mais je préfère suggérer, laisser l’esprit vagabonder.

Vous avez choisi de ne pas expliquer. Si le spectateur est au rendez-vous, très bien. Dans le cas contraire, tant pis !

X.-Y. W. : Je pense que tous les films devraient être faits comme cela. Avec subtilité, pas en assénant un propos ou tout est tranché. Mais il y a du bon et du mauvais dans ce choix. Le bon, c’est que la forme est artistique. Le mauvais, c’est que si les spectateurs ne comprennent pas, ils rejettent le film. Mais comment faire ?

Comment vos parents ont-ils jugé votre carrière ?

X.-Y. W. : Ils l’ont aimée. Ils savaient que je faisais quelque chose de sérieux, et que je le faisais sérieusement. Ça leur suffisait… Le seul reproche qu’ils m’ont fait, c’est que si j’avais pu gagner plus d’argent, cela n’aurait pas nui… Tout au long de ces années, en faisant ces trois films, nous avons dû mettre de l’argent au pot plutôt que d’en gagner.

Vous avez parlé de vos grands-parents maternels, que vous n’avez pas connus. Étaient-ils encore vivants au moment de la Révolution culturelle ?

X.-Y. W. : Non. Ils sont morts pendant la période du Grand Bond en avant (1958-1960), dix ans plus tôt. À cette époque-là, l’idée était de tout miser sur la sidérurgie. Un leader, je pense que c’était Mao, avait déclaré que la production de fer de la Chine allait dépasser celle de l’Angleterre et rattraper celle des États-Unis. Et tout le monde devait participer à l’effort collectif en apportant casseroles et objets métalliques pour qu’ils soient fondus au bénéfice de la collectivité…

Vos grands-parents avaient vécu avant que Mao prenne le pouvoir. Ils ont traversé la guerre et connu la révolution…

X.-Y. W. : Comme tout le monde avait fait don de ses casseroles, plus personne n’avait les moyens de faire à manger chez lui. La solution était alors de s’intégrer à une communauté… La nouvelle femme de mon grand-père avait trois filles, qui étaient propriétaires terriennes. Aucune communauté ne les acceptait en son sein. Elles ont dû aller d’une communauté à une autre, en marchant. Elles ont dû parcourir des dizaines et des dizaines de kilomètres…

Tous les biens immobiliers avaient été confisqués à l’avènement de Mao ?

X.-Y. W. : Oui. Personne ne leur a permis de rejoindre une communauté. Mon grand-père, lui, a été déporté dans une mine de soufre. Comme il avait reçu une éducation, il a pu faire de la comptabilité. Il était assis à l’entrée de la mine, et tous les jours il devait se soigner contre les effets des vapeurs de soufre. Il a fini par attraper un cancer des poumons. Il en est mort… Sa famille n’avait pas d’argent pour l’enterrer. Mon oncle, qui avait dix-sept ans à ce moment-là, a demandé aux gens du village de l’aider à enterrer son père. Ils étaient de la région du Guizhou. Mon oncle avait trouvé trois hommes pour l’aider à porter le corps, sur une planche, une porte en l’occurrence, à travers le village jusqu’au cimetière. Mais la tradition était de fournir des alcools forts aux participants. Les porteurs étaient totalement saouls. À chaque pas, il y en un qui trébuchait, et le corps glissait sur le sol… On le remettait sur la planche, jusqu’à la glissade suivante…

Comment avez-vous appris tout cela ? Par votre mère ?

X.-Y. W. : C’est mon oncle qui m’a raconté cette histoire. Il est toujours vivant. Ils ont fini par arriver au cimetière. Et ils ont commencé la crémation. Mais ils ne savaient pas qu’il fallait faire des entailles sur le corps pour permettre à l’air de circuler. Alors le corps a commencé à gonfler comme un ballon, avant d’éclater. Tout le monde est parti en courant…

Quelle histoire ! On pourrait en faire un film, mais ce ne serait pas un film à petit budget…

X.-Y. W. : Absolument. Le jour où j’ai entendu cette histoire, j’ai dit à mon mari que c’était une scène de film. Revenons à ma grand-mère et ses trois filles, interdites de se joindre à une communauté. Elles ont marché et marché, avant de mourir de faim parce qu’elles n’avaient rien à se mettre sous la dent. C’est tragique, mais je ne savais rien de tout cela avant de m’installer aux États-Unis. Ma mère m’a tout raconté alors que je vivais ici depuis dix ans…

Vous ne posiez pas de questions ? Ou vous n’obteniez pas de réponses quand vous en posiez ?

X.-Y. W. : Non, je ne posais pas de questions. Quand les gens n’abordent pas un sujet, ce n’est pas à vous de le faire.

Et vos grands-parents paternels ?

X.-Y. W. : Mon grand-père était commerçant, mais il était considéré comme un prolétaire, ce qui était une bonne chose. Quand mes parents se sont rencontrés à Pékin, ma mère était encartée au Parti communiste depuis l’âge de 17 ans. Elle voulait être artiste, danser et chanter. De Guizhou à Pékin, le chemin était long, et elle a marché… En arrivant à Pékin, elle a rejoint l’hôpital. Or c’est là que se trouvait mon père. Ils ont été présentés. Ils ont décidé de se marier. Mon père, qui à l’époque ne travaillait pas encore pour l’Institut de sciences sociales, mais pour un organisme gouvernemental, s’est fait aborder à trois reprises par son patron qui a essayé de le dissuader d’épouser la fille de propriétaires. Il serait rétrogradé s’il n’écoutait pas.

Mais il était amoureux !

X.-Y. W. : Il était amoureux, et il a choisi de rester avec elle. Il a été rétrogradé à trois reprises.

C’est un autre film ! Et vous avez rencontré vos grands-parents paternels ?

X.-Y. W. : Oui. Quand j’étais petite. Mon père les a fait venir à Pékin pour qu’ils aident ma mère à s’occuper des enfants quand elle allait à l’université. Elle y a obtenu un diplôme d’Histoire mondiale. Ce qui lui a permis d’enseigner l’Histoire à l’école. Mais je n’ai que peu de souvenirs de mes grands-parents, parce qu’ils ne sont restés avec nous que deux ans. Ils s’occupaient principalement de ma sœur. J’étais un bébé agité, qui pleurait beaucoup et faisait du boucan.

Un garçon manqué !

X.-Y. W. : Oui, vraiment. Je m’habillais en garçon. Nous n’avions pas beaucoup d’argent et je portais les habits que mon frère ne mettait plus… Habillé en garçon, je me comportais comme un garçon ! Les gens me traitaient de garçon manqué.

C’est évidemment une petite part d’un pays immense, mais vous appartenez à l’Histoire de la Chine…

X.-Y. W. : Oui, une Histoire vivante. En Chine, aujourd’hui, si on parle à la nouvelle génération de la Révolution culturelle, elle répondra qu’il s’agit d’un mythe. Personne ne croit que ce soit arrivé pour de bon. C’est terrifiant. n

Propos reccueillis par Yves Alion

Les DVD :
Dvd 1 :
La Môme singe (1995, 1h35, couleur)
Langue : mandarin –
Sous-titres français et anglais – Stéréo.
Entretien avec Xiao-Yen Wang.
Dvd 2 :
Le second long métrage, inédit, de Xiao-Yen Wang : I’m Seducible (2002, 1h16, couleur).
Présentation de La Môme-Singe
Retour sur la Révolution culturelle en Chine.




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