Critique

Publié le 22 mars, 2023 | par @avscci

0

De Grandes Espérances de Sylvain Desclous

Son premier long métrage, Vendeur, nous avait séduit tant le film semblait prendre à bras le corps une certaine vérité de terrain concernant le monde du travail. De grandes espérances confirme la sensibilité du cinéaste, qui prend un plaisir évident à observer à la loupe le corps social pour mieux ancrer son récit. Tour à tour thriller, histoire d’amour (compliquée), tableau d’une société bloquée et pamphlet politique, De grandes espérances est de ceux qui ne se laissent pas facilement cerner, et c’est tant mieux. Les retournements de situation mettent aussi en scène la sincérité et le mensonge.

Car les personnages existent, avec leurs contradictions, ils sont de chair et de sang plutôt que l’esquisse d’un pur fantasme de scénariste recraché par un ordinateur trop vite programmé. Il faut dire que Sylvain Desclous a trouvé des comédiens à la mesure de ses ambitions, qu’il s’agisse de Rebecca Marder et Benjamin Lavernhe en amoureux aux sentiments fragiles, ou d’Emmanuelle Bercot en ministre conquérante.

Mais le charme du film, sa puissance résident dans une ostensible absence de formatage. Le premier plan est explicite à ce sujet, qui nous laisse un moment dans l’incertitude de ce qui nous attend. On voit en contreplongée le corps d’une femme flotter à la surface de l’eau. Une certaine inquiétude nait aussitôt tant les codes des Dents de la mer sont vivaces (mais le drame surviendra sans crier gare, sous une autre forme). Puis la caméra remonte et l’on pense à l’une de ces comédies sentimentales d’été, souvent interchangeables… Avant de voir que notre héroïne prépare l’ENA, qu’elle est ambitieuse, et qu’elle n’est pas née du bon côté du fossé social. Mais aussitôt cette dimension se perd à son tour pour laisser la place à un drame impromptu qui débouche sur le thriller. Avant que le film ne prenne toute sa dimension dans une analyse socio-politique assez âpre que n’aurait pas désavoué le Stéphane Brizé d’Un autre monde. La partie policière est sans doute réglé par un tour de passe-passe qui semble un peu rapide, mais le point de vue politique est d’une force remarquable, d’autant plus remarquable que le film ne se laisse pas aller une seconde à la tentation des raccourcis ou de la parodie (nous ne sommes pas chez Mocky). Au final, De grandes espérances (dont le titre renvoie, pas tout à fait innocemment, aux grands romans initiatiques du XIXè siècle est un film d’une richesse absolument incroyable. D’ores et déjà l’un des meilleurs de l’année (pourtant débutante) …

Yves Alion

Film français de Sylvain Desclous (2022), avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emanuelle Bercot, Marc Barbé. 1h45.




Back to Top ↑