Critique Au bout des doigts de Ludovic Bernard

Publié le 2 janvier, 2019 | par @avscci

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Au bout des doigts de Ludovic Bernard

La Rhapsodie hongroise de Liszt. Bach et Rachmaninov. Un vers de Baudelaire. Ludovic Bernard semble avoir trouvé son timbre cinématographique, à juste hauteur entre la grandeur des hommes et l’étroitesse de leur quotidien. Après deux comédies en 2017, Ascensionet Mission Pays Basque, le cinéaste s’attaque désormais au drame pour déployer la pleine mesure de son talent. Derrière cette fiction envoûtante se cache une apparition. Celle d’un jeune homme aperçu par Ludovic Bernard qui jouait « divinement bien » une valse de Chopin. L’histoire qui s’ensuit n’est que le fruit d’une imagination fructueuse, mettant à l’image les difficultés pour un jeune banlieusard de composer dans un milieu bourgeois, même quand on a un don. La complexité d’un transfuge de classe à manier les codes et à déjouer l’ordre social, si doué soit-il. Au bout des doigts ne propose pas simplement une narration sur un génie doté de l’oreille absolue, pour qui le destin a choisi de tracer la route de la réussite. Le film expose d’avantage une espérance polymorphe du protagoniste Mathieu Malinski (Jules Benchetrit). Son désir vital de jouer du piano, d’aider sa famille ou bien d’être aimé de sa camarade violoncelliste Anna (Karidja Touré) vont l’amener à sans cesse se surpasser. Sans doute aussi, l’abnégation du directeur de conservatoire (Lambert Wilson) qui place son avenir professionnel au bout des doigts de Mathieu. Une pression tenace pèse sur les épaules du jeune prodige au visage fermé, peu souriant et presque aphone. Le piano comme seul médium, reliant – comme dans Sonate d’Automne de Bergman – un regard à un autre, toujours sous le joug d’une transmission verticale. Une médaille de baptême autour de son cou et un tableau du pape accroché dans sa cuisine, Mathieu Malinski suit, non sans colère et passions, une destinée riche d’événements tumultueux. Une caméra en permanence en mouvement, symbole de la longue course de Mathieu, toujours à quelques centimètres des corps et à quelques millimètres des coeurs. Pour fuir la police ou pour ne pas rater son concours, Mathieu doit inlassablement puiser un nouvel élan en des forces insoupçonnées. Toutefois, à l’instar de la séquence du cambriolage, rien au monde ne l’emmène plus loin que le voyage sonore procuré par la musique. Les couleurs grises et blanches de l’immense bâtiment recouvrant l’île Seguin, La Seine Musicale, choisie pour tourner les séquences au Conservatoire, mêlées aux hauts plafonds renforcent la solitude de Mathieu. Il avance seul, désœuvré, soumis à une dualité mussetienne et partagé entre une pure vocation musicale et une histoire personnelle teintée sobrement de criminalité. Malgré certains topos insérés maladroitement comme le baiser devant Notre Dame, la balade sur le canal Saint Martin ou encore Where is My Mindsous toutes ses formes, le film réussit pleinement son modeste pari. Il retrace une histoire, un rêve, une épopée. Au bout des doigts présente une histoire singulière et localisée projetant néanmoins des émotions plurielles et universelles qui secouent nos sensibilités.

Aymeric de Tarlé

Film français de Ludovic Bernard (2018), avec Jules Benchetrit, Karidja Touré, Lambert Wilso, Kristin Scott Thomas. 1h46.




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