Critique

Publié le 26 juillet, 2023 | par @avscci

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Barbie de Greta Gerwig

Ceux qui pensent assister à un énième film niais pour enfants risquent d’êtres surpris par le nouveau film de Greta Gerwig, qui frappe fort et opte pour un changement d’envergure   colossal. Non, ceci n’est pas la suite de Barbie Casse-Noisette ! Après Les Filles du docteur March (2019), Barbie tranche nettement avec le style très indépendant de la cinéaste. Co-scénarisé avec son inséparable Noah Baumbach, il reste, et ce, malgré les apparences, dans la lignée du travail de Gerwig. Cette fois-ci, on ne retrouve plus ses jeunes acteurs fétiches (Saoirse Ronan et Timothée Chalamet) mais des stars de blockbusters affûtées (Margot Robbie et Ryan Gosling). La promesse était celle du film de l’été, qu’en est-il vraiment ? 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le pari est tenu. On supposait évidement une version féministe de la mythique poupée en plastique de la part de Greta Gerwig. C’est effectivement à une gigantesque fresque politique que l’on a affaire, qui a le mérite de ne pas tourner longtemps autour du pot. Le parti pris de Barbie, qu’il soit visuel ou politique est radical, c’est pourquoi il assume le risque de heurter, voire de déplaire. Ce qui est louable pour un film d’une telle envergure budgétaire. L’intrigue mise en place par Gerwig et Baumbach pour traiter du patriarcat à travers le prisme populaire de la poupée Barbie, est la suivante : deux mondes parallèles. Barbie Land, où les Barbies coulent des jours paisibles dans une harmonie matriarcale toute puissante, et où les Kens sont des playboys écervelés, relégués au rang de bouffons. Toutes les Barbies y vivent avec l’intime conviction d’avoir sauvé les petites filles de l’assujettissement au foyer. S’oppose à ce monde supposé idéal, le Monde Réel, celui que l’on connait tous.tes, régit par le patriarcat. L’un comme l’autre se verra bouleversé le jour où l’une des Barbies (Margot Robbie) entreprend un voyage dans le Monde Réel, à la recherche de sa propriétaire humaine pour tenter de résoudre les récentes anomalies venues troubler son quotidien enchanté (pieds plats, pensées morbides et cellulite). Une sorte de Toy Story satirique et politique. 

On sent une véritable tendresse pour l’univers de Barbie de la part de la réalisatrice qui y retrouve certainement ses propres souvenirs d’enfance. Visuellement, c’est impressionnant. Barbie est sans aucun doute un des films les plus graphiques de l’année avec Asteroid City. Une avalanche de rose pour tout le monde (pas de bleu pour les Ken), seule et unique couleur présente à Barbie Land. Ceux et celles qui furent familiers de l’univers Barbie retrouveront les tenues et les maisons répliquées à grande échelle d’après les jouets de la marque. Le décor n’est donc pas seulement un régal pour les yeux, c’est aussi une madeleine de Proust pour beaucoup de spectateurs. Des maisons sans murs, des accessoires surdimensionnés, de l’eau turquoise pailletée, on sentirait presque l’odeur du plastique, familière à ceux qui ont grandi en « jouant à la Barbie ». C’est une joie de retrouver des décors authentiques, fabriqués de toutes pièces, et ce camaïeu acidulé qui nous suit jusqu’au dehors de la salle. 

Le rythme imposé par le film est dynamique, plein d’autodérision de la part des deux protagonistes. Drôlissime et absurde pour Ryan Gosling, tout en naïveté dépassée pour Margot Robbie qui nous avait déjà offert une prestation époustouflante cette année dans Babylone, et ne recule visiblement devant aucun challenge.

On retrouve tout au long du film l’humour décalé propre à Greta Gerwig (Lady Bird) et Noah Baumbach (Frances Ha) et dans certaines scènes en particulier, comme celle des pieds plats ou encore celle du choix fatidique entre un escarpin et une sandale orthopédique. Il est décidément beaucoup question de pieds dans Barbie puisque dés la première scène du film, une Margot Robbie surdimensionnée fait une apparition conquérante en posant un premier escarpin, puis l’autre sur le sol désertique du monde pré-Barbie, résonance au premier pas de l’homme sur la Lune. Le parti pris est posé : Barbie va mettre les pieds dans le plat. Ceci ne sera ni le bûcher d’un jouet superficiel comme on aurait pu s’y attendre, ni l’apologie démagogique d’une poupée en plastique. Barbie représente un modèle de femme indépendante qui peut tout faire, mais dont l’image trop lisse ne manquera pas d’être remise en question. Greta Gerwig a à coeur de ne tomber dans aucun écueil. Peut être trop. Le chantier est si vaste que le moindre oubli de minorité pouvait faire flancher la cohérence politique du film. Et c’est aussi pourquoi on peut parfois se sentir étouffé de bonnes intentions. Certaines fonctionnent, comme par exemple de choisir une représentation de masculinité asiatique comme principal rival de Ryan Gosling, donc à égal niveau de sex appeal. D’autres, moins. Comme le personnage peu étoffé d’une Barbie ronde (en réalité commercialisée par Mattel depuis seulement sept ans), et qui donne davantage l’impression d’être là pour représenter une minorité plutôt que pour sa réelle importance dans le film. Certaines scènes superflues auraient également mérité d’être coupées. Leur fonction initiale était sans doute d’accorder une légère trêve au spectateur avant une nouvelle offensive (par exemple la scène de la guerre des Ken), elles ne viennent malheureusement qu’alourdir un ensemble déjà très riche en informations. 

La ligne politique reste néanmoins très claire, et le film regorge d’idées brillantes car déroutantes. À plusieurs endroits, il déjoue les attentes et casse les a priori, comme par exemple le fait que Barbie et Ken finiront ensemble (il n’y a, à vrai dire, même pas de place pour la romance dans ce film, dont la priorité est de passer un message). 

Le personnage interprété par Ryan Gosling évolue également de manière très intéressante. D’abord bouc émissaire inoffensif dont le spectateur est encouragé à rire (de bonne guerre), son contact avec le Monde Réel, et sa conversion intégriste au patriarcat offre soudain un renversement de situation dangereux (l’instauration d’une dictature masculine à Barbie Land). C’est cette trajectoire qui amorce le coeur du débat politique, à savoir pourquoi les femmes comme les hommes ont-ils tout intérêt à se libérer du patriarcat ?

Ce schéma binaire des réalités parallèles s’avère très efficace dans la perception soudaine des violences sexistes auxquelles est confrontée Barbie. Les injustices banales de notre « Monde Réel » nous sautent alors brutalement aux yeux par phénomène de juxtaposition. À l’inverse, ce dernier apporte lui aussi un regard critique sur Barbie Land et dynamite la surface lustrée de cette utopie rose bonbon où les problèmes n’existent pas.

Le film met par ailleurs en lumière les conséquences d’une Barbie stéréotypée chez ses utilisatrices. Les complexes, le manque de diversité en terme de représentations, l’artifice écrasant. D’ailleurs, si le personnage principal est Barbie, il laisse peu à peu place à deux humaines venues du Monde Réel, une mère et sa fille, qui viendront inculquer ce qui manque cruellement à Barbie Land, l’humanité, la normalité, et finalement le réveil d’une  authentique conscience féministe chez les Barbies. C’est littéralement la magnifique tirade scandée par Gloria (America Ferrera) – mère dépressive, secrétaire chez Mattel, interdite d’entrée dans le saint des saints du groupe dirigé exclusivement par des hommes, dont le superbe C.E.O. (Will Ferrell) – qui les réveillera du joug de la domination.

Après de tels discours, une ligne de conduite si politiquement irréprochable, on ne manque pas de tiquer devant l’exorbitante communication déployée par le film. Guest stars, bande son cinq étoiles ne comptant nulles autres que Dua Lipa, Billie Eilish ou Nicki Minaj, collaboration avec plusieurs grandes marques, pluie rose sur les moteurs de recherche… Bref, toutes les conditions pour créer la tendance, un phénomène de mode viral, et c’est là que le film en tant que produit diverge. Les prochaines semaines nous diront si Greta Gerwig s’est elle-même tiré une balle dans le pied… 

Celle qui a su relever haut la main le pari de toucher le grand public avec un film politique  à la démarche sincère, aurait-elle succombé à la valeur marchande de son premier blockbuster.

Film américain de Greta Gerwig avec Margot Robbie, Ryan Gosling, Will Ferrell. 1h 55m. Sortie le 19 juillet.

Manon Durand




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