Critiques DVD L'enfer des anges de Christian Jaque - Sept classiques français - actu dvd Avant-Scène Cinéma

Publié le 15 octobre, 2020 | par @avscci

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Actu dvd octobre 2020 – Sept classiques français

Il est plus que temps de réévaluer l’œuvre pléthorique de Christian-Jaque. Non seulement parce qu’elle court à travers cinq décennies, mais parce qu’elle s’avère d’une étonnante polyvalence. L’Enfer des anges (1941) a constitué sa première grande désillusion de l’année 1939 avant Tourelle trois, dont le tournage a été interrompu par la guerre. Tourné juste avant, le film faisait en effet partie de la sélection officielle de ce qui aurait dû être le 1er Festival de Cannes (évoqué en bonus dans un reportage promotionnel intitulé… Un jour de bonheur). Le réalisateur des Disparus de Saint-Agil (1938) s’y attaque à un sujet ô combien sensible : l’enfance malheureuse. Prenant ses distances avec le romanesque, il opte pour une facture documentaire qui oscille entre le naturalisme cher à Carné et Duvivier et un néoréalisme auquel le cinéma italien s’apprêtait à donner ses lettres de noblesse. Sa sortie sous l’Occupation sera conditionnée à plusieurs coups de ciseaux et à l’ajout d’un carton édifiant qui relève de la récupération politique, en évoquant « un appel au cœur de tous pour une collaboration avec l’État, afin de protéger et de sauver ceux qui feront le France de demain : les tout-petits d’aujourd’hui ». Il est d’autant plus passionnant de redécouvrir cette chronique parée pour l’occasion de plusieurs suppléments. Cette édition permet notamment de voir les différentes scènes censurées par le régime pétainiste car jugées trop pessimistes. Le fils du scénariste Pierre Véry, Noël, revient sur l’aventure particulière de ce film « entre le noir et le sombre » qui montre les faubourgs déshérités de Paris sous un jour bien peu glamour. Avec en écho deux reportages édifiants : Les Îlots insalubres (1931) et La Lutte contre le taudis (1938).

Aujourd’hui plus ou moins réduit à sa version des Misérables (1958) et à quelques succès de Bernard Blier puis Jean Gabin, Jean-Paul Le Chanois mériterait lui aussi un coup de projecteur. Les Évadés (1955) figure parmi ses films les plus oubliés. Sans doute parce que sa gravité a détonné au beau milieu de trois comédies sentimentales interprétées par Robert Lamoureux. Quatre ans avant le triomphe de La Vache et le Prisonnier et sur un registre nettement plus tragique, c’est avec une réelle conviction que cet ancien résistant et militant communiste porte à l’écran le livre dans lequel le comédien Michel André (qui tient son propre rôle aux côtés de Pierre Fresnay et François Périer) relate sa cavale avec deux compagnons de fortune, d’un Stalag du Nord de l’Allemagne aux côtes suédoises. Ce film devenu rare est ressuscité aujourd’hui avec un luxe de moyens qui contribue à le mettre en valeur. Avec en prime une fin alternative en couleur dont on a du mal à imaginer comment elle aurait pu s’insérer dans le montage initial, sans nuire à sa tension dramatique. Le film lui-même s’inscrit (comme à chaque fois concernant les films richement édités par Coin de mire) dans le cadre d’une véritable séance de cinéma de l’époque, avec ses actualités, ses « réclames publicitaires » et ses bandes annonces, le livret richement illustré étant accompagné de fac-similés de l’affiche et d’un jeu de photos d’exploitation. Nostalgie, quand tu nous tiens…

Le Trou (1960) n’est pas beaucoup plus joyeux. Mais c’est à l’inverse des deux précédents un film que nombre de cinéphiles portent haut dans leur panthéon personnel. Il est vrai qu’il n’est pas excessif de soutenir que c’est sans doute l’un des plus beaux films de prison jamais réalisés, et également le meilleur film de Jacques Becker (signataire par ailleurs de Casque d’or et de Touchez pas au grisbi). C’est également son dernier : le metteur en scène est mort (à 60 ans) quelques semaines avant sa sortie. Le Trou n’a pas une trame emberlificotée, puisque nous ne quittons que très rarement une cellule de prison où croupissent cinq hommes. Le temps s’écoule lentement et le quotidien est poisseux. Mais les détenus ont entrepris de creuser une galerie qui devrait leur permettre de s’évader. Tout le suspense du film, toute sa force réside dans ce temps suspendu pendant lequel nous retenons notre souffle, Becker ayant par ailleurs du génie pour présenter ses personnages hors des clichés ou des cabotinages d’acteurs. Il est vrai que ceux-ci ne sont pas des professionnels. Même si Michel Constantin (formidable dans la peau d’un homme marmoréen) va par la suite faire une belle carrière. Mais c’est un certain Jean Keraudy qui nous fascine. Parce qu’il n’est pas loin d’incarner son propre rôle. Ce roi de l’évasion, taulard de profession, est d’ailleurs interviewé dans un bonus, et il vaut le déplacement… Réalisé par Jacques Becker, le film est aussi le fruit du travail de José Giovanni, qui a signé le roman dont il est adapté. Et qui a lui aussi connu la paille fraîche des cachots (avant d’écrire et de tourner, notre homme était un authentique truand, qui n’a échappé que de peu au couperet de la guillotine). Ce qui confère au film un surplus d’authenticité…

Le diable et les dix commandements de Julien Duvivier - actu dvd - Avant-Scène CinémaRéalisé deux ans plus tard, Le Diable et les Dix Commandements, de Julien Duvivier ne se réclame pas d’un même souci de réalisme. C’est un film à sketches dans lequel défile le nec plus ultra des comédiens français de l’époque. Un quart de siècle après s’être essayé avec succès à cet exercice ingrat dans Un carnet de bal (1937), le réalisateur démontre une nouvelle fois sa virtuosité sur un scénario polyphonique dialogué par trois orfèvres en la matière : Henri Jeanson, Michel Audiard et l’écrivain René Barjavel. Ce défilé de stars est un pur plaisir pour qui apprécie les numéros d’acteurs. Danielle Darrieux et Micheline Presle, Fernandel et Louis de Funès, Michel Simon, Alain Delon et Lino Ventura sont notamment au rendez-vous. Avec en prime la voix du savoureux Claude Rich en diable à la peau de serpent et le dispositif habituel proposé par l’éditeur qui nous invite à la nostalgie dans une version intégrale inédite, là encore superbement restaurée par TF1 Studio. À noter pour les cinéphiles les plus pointus que le DVD propose une version intégrale du film, qui avait été lors de sa sortie en salle amputée d’un sketch, le second, Tu ne convoiteras point, Luxurieux point ne seras et L’œuvre de chair ne désireras qu’en mariage seulement (quel titre !), où Micheline Presle et Françoise Arnoul rivalisent de charme…

Par un beau matin d’été (Jacques Deray, 1965) tire quant à lui du côté de la Série noire. Le film étant adapté d’un livre de James Hadley Chase, nous pouvions craindre quelques arabesques narratives embarrassantes, voire une certaine difficulté pour le signataire du film à adapter l’univers du romancier, américain, au décor européen (le film se déroulant à cheval sur la France et l’Espagne). Or il n’en est rien… Parce que Jacques Deray, qui n’en était pourtant qu’à ses premières armes, y fait montre d’un solide sens de la mise en scène. Ses personnages sont parfaitement à leur place et les comédiens qui leur donnent vie des plus crédibles. La jeune Geraldine Chaplin par exemple, dont le personnage est victime de ce que l’on n’appelait pas encore le syndrome de Stockholm tant elle semble en pincer pour son kidnappeur. Il est vrai que celui-ci est joué par un Jean-Paul Belmondo au sommet de sa gouaille et de son entrain (il sortait de L’Homme de Rio). Mais c’est tout l’art du comédien (et du metteur en scène) que d’avoir su jouer de ce présupposé pour rendre le personnage sympathique sans pour autant l’absoudre de tout. Le film est ainsi en équilibre instable, prêt à verser à tout moment, ce qui lui permet de faire mouche sans jamais sembler téléphoné. Une belle redécouverte d’un film presque oublié (qui avait pourtant en son temps rencontré un joli succès). À noter dans les bonus une intervention de l’ami Gérard Camy !

En 1965, quand Deray tourne Par un beau matin d’été, Claude Sautet met quant à lui un terme à sa période policière avec L’Arme à gauche. Il attendra cinq ans de plus pour entamer la période faste de sa carrière, celle des Choses de la vie ou de César et Rosalie. Pour infléchir son cinéma de nouveau à l’aube des années 1980, quand il cessera de mettre en scène des personnages qui ont son âge, des doubles de lui-même, pour s’intéresser à d’autres classes d’âge, d’autres milieux sociaux. C’est le cas de ce Mauvais Fils, qui inaugure la série. Le portrait d’un fils prodigue de retour en France après avoir purgé plusieurs années de tôle de l’autre côté de l’Atlantique pour cause de trafic de drogue. Le film raconte son difficile retour parmi les siens, à commencer par son père, dont l’empathie n’est pas exempte de failles. C’est Patrick Dewaere qui tient le rôle-titre. Et il est d’autant plus touchant que nous savons que le comédien a connu lui aussi quelques problèmes avec la came. Et qu’il sait se montrer d’une sobriété exemplaire dont n’effleure que des signes discrets d’une douleur profonde. Les scènes avec Yves Robert, qui tient le rôle du père, sont bouleversantes…

Ma saison préférée (André Téchiné, 1993) possède des points communs avec ce Mauvais Fils : c’est la même introspection familiale, le même retour sur un passé qui a semé les graines d’une discorde qu’il ne sera pas facile à régler. Téchiné s’intéresse à un couple formé par un frère et une sœur qui se retrouvent (après une séparation durable) lorsque leur mère commence à menacer de passer l’arme à gauche. L’occasion de faire le point sur une relation compliquée, faite de jalousie et d’incompréhension mais aussi d’un attachement véritable qui pose par moments la question d’une attraction incestueuse. Ma saison préférée est sans doute l’un des meilleurs films de Téchiné, tout en nuances et en douceur, qui n’excluent pas des sentiments à vif. Il est vrai que le film doit aussi une partie de sa subtilité et de sa grâce à un duo de comédiens irréprochables : Catherine Deneuve (dont la très fidèle collaboration avec Téchiné n’en est qu’à ses débuts) et Daniel Auteuil, qui fait preuve d’une retenue qui ne lui était pas encore coutumière. Sur le temps qui passe, sur l’enfance, sur les blessures que la vie ne guérit pas, rares sont les films qui auront autant dit…

L’Enfer des anges / Par un beau matin d’été Pathé Vidéo
Les Évadés / Le Diable et les Dix Commandements Coin de Mire
Le Trou / Un mauvais fils / Ma saison préférée Studio Canal




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