Critiques DVD Battement de coeur de Henri Decoin

Publié le 10 juin, 2019 | par @avscci

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Actu dvd mai 2019 – Trois films d’Henri Decoin

Revenu dans l’actualité à la faveur du dernier festival Lumière, Henri Decoin compta de son temps parmi les réalisateurs les plus appréciés du grand public. Il faut dire qu’il s’essaya à tous les genres avec l’ambition de plaire, mais aussi de transposer dans l’Hexagone des spécialités qu’on croyait réservées à Hollywood. Trois de ses films les plus emblématiques bénéficient aujourd’hui d’éditions à la mesure de leur réputation. Les deux premiers ont pour vedette celle qui fut la troisième épouse du metteur en scène entre 1935 et 1941 : Danielle Darrieux. Dans Battement de cœur (1939) comme dans Premier rendez-vous (1941), cette jeune fille de son temps est l’insouciance personnifiée, alors même que son pays subit les affres de l’Occupation. Ironie du sort, au moment même où le cinéma américain se voit banni des écrans par les Allemands, le couple Darrieux-Decoin propose aux spectateurs français une alternative à la fois crédible et séduisante qui n’a pas à pâtir de la comparaison. Lorsque Battement de cœur est présenté au public, en février 1940, c’est la Drôle de guerre le long de la ligne Maginot. Du coup, le film apparaît comme un véritable exutoire collectif, dont les spectateurs fredonnent la chanson Une charade, composée par Paul Misraki et André Hornez. Signe qui ne trompe pas, après un plagiat de Mario Camerini filmé à Cinecittà, Hollywood ira jusqu’à en réaliser un remake intitulé Un cœur à prendre (1946) où Sam Wood réunit Ginger Rogers et le french Lover Jean-Pierre Aumont (dans le rôle tenu initialement par Claude Dauphin). Mais il est loin d’égaler l’original.

Tourné dans un contexte plus sombre à bien des égards, mais cette fois sous la houlette de la Continental dirigée par le très cinéphile Alfred Greven, Premier Rendez-vous distille pourtant la même fraîcheur en recyclant les mêmes ingrédients. Qualifié de chef-d’œuvre par Jacques Audiberti, le film ne montre pas la réalité de l’époque, mais reconstitue l’insouciance qui régnait avant la guerre, quitte à mettre en scène en studio une circulation automobile rassurante. Pourtant, au-delà de son optimisme de propagande, le film séduit par son charme intemporel et le formidable abattage de Danielle Darrieux, à qui les rôles d’orphelines siéent décidément à ravir. Deux documentaires réalisés par Roland-Jean Charna, La Dernière Danse et Battement de cinéma, donnent la parole à Christine Leteux, Clara Laurent et Didier Decoin dont les interventions croisées soulignent les multiples enjeux de ces deux comédies sentimentales pétillantes.

Une toute autre atmosphère baigne Les Inconnus dans la maison (1942), un drame épais qui offre à Raimu l’une de ses plus belles compositions : celle d’un avocat alcoolique confronté à une jeunesse dévoyée qui va devoir émerger de son coma éthylique pour sauver sa propre fille dont il a trop longtemps feint d’ignorer les mauvaises rencontres. Le scénario et les dialogues de cette adaptation de Georges Simenon sont signés Henri-Georges Clouzot. C’est dire combien le film broie du noir, et pas seulement à travers les splendides clairs obscurs ciselés par le génial chef opérateur d’Abel Gance, Jules Kruger, auxquels la restauration rend justice. Raimu y trouve une alternative intéressante aux films de Pagnol et justifie l’éloge d’Orson Welles qui l’avait sacré « meilleur acteur du monde » après l’avoir découvert dans La Femme du boulanger (1938). Ce rôle est d’ailleurs une telle aubaine que Jean-Paul Belmondo lui-même s’en emparera cinquante ans plus tard dans L’Inconnu dans la maison, de Georges Lautner. Avec toutefois une réussite moindre. Figure en complément de ce Blu-ray un documentaire de Roland-Jean Charna intitulé La Plaidoirie polémique qui revient notamment sur les accusations d’antisémitisme dont a fait l’objet ce film magistral à la Libération sous prétexte qu’un de ses protagonistes y portait un patronyme juif… déjà présent dans le roman. Ce qui incita les censeurs à le modifier en resynchronisant acrobatiquement certaines phrases de dialogue, à l’exception des tirades de Raimu qui était mort entre-temps et continue à apostropher le personnage sous son nom d’origine, ce qui crée un étrange décalage. n Jean-Philippe Guerand

Battement de cœur / Premier Rendez-vous / Les Inconnus dans la maison Gaumont Vidéo




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