Critiques DVD Toni de Jean Renoir

Publié le 16 juillet, 2020 | par @avscci

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Actu dvd juin 2020 – Tsunami de (quatorze) classiques français

Considéré comme un précurseur du néoréalisme, au même titre que le fameux Justin de Marseille (1935), de Maurice Tourneur, récemment restauré par Pathé, Toni (1935) est une œuvre délibérément à part au sein de l’œuvre foisonnante de Jean Renoir. Roland-Jean Charna en explore la genèse tortueuse dans un document intitulé L’Enquête sur l’enquête dont une archiviste explique qu’elle a eu parfois l’impression de se retrouver dans un épisode de la série Les Experts en marchant dans les pas du cinéaste et en épluchant à cet effet la presse locale pour reconstituer le tournage, avec l’intention initiale de créer un parcours dédié à travers la ville de Martigues. Effet miroir garanti. Au-delà du fait divers survenu en 1930, dont il s’inspire, soutenu par son ami amateur d’art Pierre Gaut, qui le produit, le cinéaste procède à sa re-création au plus près dans une ville dont il saisit malgré lui la geste industrielle en filmant la population immigrée, là même où elle vit et ne capte l’attention de la presse que pour de mauvaises raisons. Renoir sollicite pour cela le soutien logistique de Marcel Pagnol. Si la critique est élogieuse, la froideur de l’accueil public conduit à couper pas moins de quarante minutes, à même le négatif. Pour l’essentiel des images des cités voisines à caractère documentaire qui manquent toujours à l’appel.

Plus de trente ans plus tard, Jean Chapot tourne La Voleuse (1966), qui ne doit rien à Renoir. L’initiative d’exhumer ce film n’en est pas moins judicieuse… Le premier des deux films réalisés par ce cinéaste discret (l’autre étant Les Granges brûlées, en 1973) se situe dans la carrière de Romy Schneider au cours de cette étrange traversée du désert qui sépare les minauderies de Sissi (1955) de La Piscine (1969) de Jacques Deray et comprend son rendez-vous inachevé avec Henri-Georges Clouzot dans L’Enfer (1964). Il marque surtout la première rencontre de la comédienne avec Michel Piccoli qui deviendra son partenaire de prédilection dans Les Choses de la vie (1970) et Max et les ferrailleurs (1971) de Claude Sautet, puis Le Trio infernal (1974) de Francis Girod. Un documentaire de Dominique Maillet joliment intitulé L’Incandescence du sacrifice revient d’ailleurs sur son implication dans ce drame psychologique sobrement dialogué par Marguerite Duras où une mère cherche par tous les moyens à récupérer le petit garçon qu’elle a abandonné à sa naissance. Quitte à sacrifier son propre couple et à faire exploser la vie de la famille qui l’a adopté. Un sujet de société rarement évoqué à l’époque qui passe par une mise en scène épurée, une direction d’acteurs remarquable et un noir et blanc ciselé par Jean Penzer.

Les félins de René ClémentLes Félins (1964), de René Clément, lui est de deux ans antérieur. Le film repose sur la rencontre de deux séducteurs : Jane Fonda, dont c’est le premier film français, et Alain Delon que le réalisateur a déjà dirigé dans Plein soleil (1960) et Quelle joie de vivre (1961). Deux auteurs de série noire se sont penchés à son chevet : Day Keene (déjà à l’origine de Rafles sur la ville, de Pierre Chenal) dont le roman Vive le marié a librement inspiré le scénario, et Charles Williams qui l’a adapté en anglais avant que Pascal Jardin n’en signe la version française. En complément, Le Geste parfait donne la parole à la journaliste de Positif Denitza Bantcheva, le Monsieur Cinéma d’Arte, Olivier Père, et le réalisateur Jean-Claude Missiaen, qui fut notamment l’assistant de René Clément après l’avoir rencontré pour Cinémonde. Ils y célèbrent une splendeur passée qui n’a rien perdu de son efficacité où un cinéma conçu pour être populaire n’oubliait jamais de témoigner d’une ambition dont on semble avoir brisé le moule en renvoyant dos à dos l’art et le commerce qui faisaient pourtant alors si bon ménage.

Une ambition que partage de toute évidence Coin de mire, apparu depuis deux ans sur le marché de l’édition vidéo et dont les choix éditoriaux sont orientés dans une direction bien précise, le but étant de faire revivre tout un pan de l’histoire du cinéma français compris entre 1950 et 1980. Une trentaine de titres ont désormais vu le jour. Le choix des films montre un éclectisme certain, les chefs-d’œuvre absolus côtoyant des séries B parfois oubliées. Mais tous ont en commun de n’avoir jamais connu d’édition vidéo (ou à défaut une édition de moindre qualité). Et de bénéficier d’un traitement de roi : un DVD et un blu-ray sertis dans un coffret Digibook, comprenant une reproduction de l’affiche originale, une dizaine de photos d’exploitation, et un livret cousu au boîtier reproduisant des archives du film. Les bonus vidéo ne ressemblent pas à ceux que les éditeurs proposent d’ordinaire. Les interviews ou les analyses ont en effet le plus souvent laissé la place aux actualités cinématographiques ou à des publicités d’époque. Une belle façon de renouer de façon intime avec une période donnée…

Parmi les films qui ont séduit l’éditeur, deux sont signés Christian-Jaque, un réalisateur qui a enchanté les cinémas de quartier pendant trois ou quatre décennies…. Coin de mire n’a pas pioché parmi ses films les plus connus (et les plus incontestables), L’Assassinat du père Noël, Un revenant, Fanfan la tulipe… Mais Si tous les gars du monde ne manque pas de charme. Réalisé en 1956, le film fait partie des opus humanistes du signataire d’Homme à hommes. L’histoire est celle d’un bateau de pêche en perdition dont l’équipage, atteint de botulisme, est secouru grâce à tout un maillage de radioamateurs (et à une longue chaîne de solidarité), à travers plusieurs pays. L’affaire est pourtant mal emmanchée, quand le seul marin qui a échappé à la maladie est convaincu d’avoir empoisonné les autres (il est musulman, il n’a pas mangé de jambon), mais la fraternité humaine reprend vite le dessus… Un bon film : le scénario est bien charpenté (Clouzot fait partie des auteurs), le suspense est distillé à bon escient et les comédiens sont tous à la hauteur… Parmi eux le jeune Jean-Louis Trintignant (qui la même année explosera dans Et Dieu créa la femme)…

Mais Christian-Jaque est un cinéaste éclectique. Pour preuve Les Bonnes Causes (1962), un drame mettant en présence deux jeunes femmes dont l’une est une meurtrière, encadrées par un as du barreau, incarné par Pierre Brasseur et un flic d’apparence modeste mais malin auquel Bourvil prête ses traits. Le scénario est évidemment plein de rebondissements et autres coups de théâtre, les dialogues d’autant plus savoureux que nous les devons à Henri Jeanson, et l’interprétation des deux cadors précités est aux petits oignons. Le savoir-faire du metteur en scène n’est pas pour autant secondaire, qui fait preuve d’une grande élégance et bénéficie de la superbe photo noir et blanc (scope) d’Armand Thirard.

La dame d'onze heures de Jean DevaivreAdulé par Bertrand Tavernier qui a largement contribué à sa réhabilitation (il en fait notamment l’un des deux personnages centraux de son Laissez-passer), Jean Devaivre (à ne pas confondre avec son homophone Jean Dewever, auteur quant à lui des Honneurs de la guerre) est de nouveau à l’actualité à travers ses deux films les plus célèbres que nous présente Serge Bromberg avec sa passion coutumière. Pur produit de la Continental qui lui a mis le pied à l’étrier comme assistant puis comme réalisateur, Devaivre signe avec La Dame d’onze heures (1948) son deuxième long métrage après un remake du Roi des resquilleurs (1945). Le scénario est tiré par Jean-Paul Le Chanois d’un roman de Pierre Apestéguy qui met en scène le détective SOS, campé par Paul Meurisse, tout en dérision dans une préfiguration de son rôle du Monocle. L’affaire est nette et sans bavure, le polar constituant à l’époque un genre roi du cinéma français qui a permis à bon nombre de comédiens de gagner en popularité.

Sur un tout autre registre, La Ferme des sept péchés (1949) s’inscrit dans la catégorie des drames terriens auxquels appartiennent des films tels que Goupi mains rouges (1943) de Jacques Becker ou La Ferme du pendu (1945) de Jean Dréville. La France des années 1940 est en effet encore un pays majoritairement rural dont le maître à filmer est Marcel Pagnol. La campagne n’est pourtant qu’un cadre dans cette reconstitution historique où Devaivre met en scène avec soin l’enquête sur l’assassinat en 1825 du journaliste Paul-Louis Courier, qu’incarne le très méconnu Jacques Dumesnil. Sa reconstitution soignée et sa remarquable direction d’acteurs ont valu à cette ode à la liberté de la presse, qu’on pourrait aussi qualifier de thriller politique, l’ancêtre du Léopard d’or de Locarno, baptisé à l’époque la Voile d’or, le jury ayant loué à l’époque « ses qualités d’évocation historique, d’expression poétique et de la valeur symbolique ». À noter dans ces deux films la présence d’un acteur qu’affectionnait tout particulièrement Devaivre : l’immense Pierre Renoir, aussi magistral en démiurge de l’industrie pharmaceutique qu’en procureur implacable.

Et puisque l’on parle de monstres sacrés, saluons une nouvelle fois le génie de Michel Simon, qui avec Ce sacré grand-père (1968), trouve sans conteste l’un des meilleurs rôles de sa fin de carrière. Adapté d’un roman de Catherine Paysan. Je m’appelle Jéricho, le film met en scène un vieil homme qui accueille le temps des vacances sa petite-fille et son mari dans sa propriété du Lubéron. Il constate bien vite la mésentente du couple et met tout son savoir-faire dans la balance pour recoller les morceaux… Un film bienveillant, mais jamais niais, qui joue sur les demi-teintes et souligne la subtilité de Michel Simon (autant que le charme de Marie Dubois). On aura également le plaisir de retrouver Serge Gainsbourg, un habitué (en tant que comédien mais aussi musicien) des films de Poitrenaud. Jacques Poitrenaud… On se souvient de lui comme d’un défenseur infatigable du cinéma français. Mais on oublie trop souvent qu’il a été monteur (notamment de Paris est toujours Paris, dont nous reparlerons plus loin) et assistant réalisateur (de Boisrond et Vadim) avant de mettre en scène une douzaine de films sans doute inégaux mais jamais sans qualités. Parmi lesquels La Tête du client, une irrésistible comédie avec Poiret et Serrault, Un drôle de caïd (avec un De Funès en pleine forme et la toujours sémillante Mireille Darc), Strip-tease (avec Nico, qui n’avait pas encore rencontré Andy Warhol) dans le rôle principal et Ce sacré grand-père dont on ne se lasse pas…

Les espions d'Henri George ClouzotIncontestables les deux films suivants de notre odyssée le sont bien évidemment, puisqu’ils sont signés Henri-Georges Clouzot. Les Espions et La Vérité ne sont sans doute pas au niveau de ses deux chefs-d’œuvre absolus (Le Corbeau, Quai des orfèvres), mais ce sont à n’en point douter des films immenses. Le premier, Les Espions (1957), parce qu’il se présente comme un exercice de style où Clouzot s’est manifestement fait plaisir à peaufiner chaque plan, chaque image pour mieux coller au mystère qui régit le monde de l’espionnage. Nous sommes parfois à la limite de la parodie, le cinéaste ayant choisi de pousser à leur sommet toutes ses obsessions graphiques, au détriment d’une trame qui ne sert que de prétexte et dont on se fiche un peu, mais qui traduit à merveille l’absurdité des comportements humains. Incongru en regard des films d’espionnage classiques, le film est aussi une rareté parmi les DVD Coin de mire, puisqu’il présenteun bonus où est interviewé… Jacques Tardi. Ce qui au fond n’a rien de bien surprenant : on sait la passion de père d’Adèle Blanc-sec pour les histoires abracadabrantesques, pourvu qu’elles soient portées par une ambition formelle sans faille. La Vérité suit Les Espions avec trois ans d’écart dans l’œuvre de Clouzot. Pour Roger Tailleur, de Positif, ce film marque « la rencontre bénéfique d’un vrai metteur en scène et d’une authentique bête de cinéma, du talent et du mythe, du cerveau et du cœur, de la lucidité et de la passion ». On ne saurait mieux dire. Il est vrai que cette rencontre entre le metteur en scène, respecté mais sulfureux, et la star, adulée par les uns et détestée par les autres, avait tout pour produire des étincelles. D’une certaine manière Brigitte Bardot joue ici son propre rôle, ou du moins le rôle que les médias s’entendaient à lui faire jouer. Celui d’une fille affranchie, légère, parfois futile, souvent immorale. C’est donc un peu au procès de la star que nous convie le film. Le film est double, qui nous entraîne tour à tour dans les cafés enfumés du Quartier latin, où quelques étudiants désœuvrés se plaisent à refaire le monde, et dans la grande salle d’un tribunal où les désordres des jeunes déboussolés sont examinés sans ménagement. Reconnaissons-le la peinture que fait Clouzot de cette jeunesse turbulente et gourmande est parfois chargée de clichés. Ce qui se rapporte au procès est en revanche un pur régal de tous les instants. Le film permet à Brigitte Bardot, sinon de révéler ses qualités de comédienne dans un registre dramatique (sur ce plan-là En cas de malheur, tourné trois ans plus tôt, ne peut pas compter pour du beurre) mais très certainement de se dépasser. Elle était évidemment attendue dans la partie du film qui met en lumière ses frasques, et force est de reconnaître que sa sensualité continue à nous troubler. Certaines scènes vaudront au film un « à proscrire » de la part de la pointilleuse Centrale Catholique, comme l’avaient été Manon et Le Corbeau en leur temps.

Nous terminerons ce voyage au cœur du cinéma français par quatre films signés Henri Verneuil. Le premier, Les Amants du Tage, date de 1954. Il fait donc partie de la première période du cinéaste, celle dont Fernandel est la figure centrale. Mais le comédien est absent de ce film-ci, un drame passionnel situé à Lisbonne où les deux amants sont incarnés par Daniel Gélin et Françoise Arnoul. Adapté d’un livre de Joseph Kessel, le film marque le premier grand virage dans l’œuvre de Verneuil, qui fait montre d’une certaine volupté à filmer Lisbonne, à nous faire écouter Amalia Rodrigues chantant du fado et à s’attacher aux sentiments exacerbés de ses deux tourtereaux. Le metteur en scène, qui s’illustrera par la suite comme un maître du polar, montre en tout cas qu’il n’est pas maladroit dans la peinture des sentiments. L’intrigue policière n’est pas l’occasion de rebondissements incessants, mais de façon presque dostoïevskienne met en présence la jeune femme et un flic apparemment tranquille (il est plus malin qu’on ne croie) venu d’outre-Manche, qui a les traits de Trevor Howard. Qui nous avait bouleversés neuf ans plus tôt dans Brève Rencontre

Les trois films suivants datent du début des années 1960. En filigrane du Président (1961) émerge la stature écrasante d’un formidable animal politique qui fait l’objet d’un module intitulé Dans l’ombre de Clémenceau où Jérôme Luccini évoque avec passion cette figure tutélaire de la Troisième République. En prime, La Politique au crépuscule donne la parole à Claude Gauteur et Patrick Glâtre, qui dessinent un portrait très vivant de Jean Gabin. Il faut dire qu’à travers ce rôle de pure composition et sa confrontation au sommet avec son sparring partner de prédilection, Bernard Blier, le comédien s’empare avec une rare jubilation de son personnage. Audiard y règle au passage ses comptes avec un monde politique pour lequel il n’éprouvait que peu d’empathie.

Un singe en hiver (1962) fait l’objet d’un traitement à la hauteur du culte qu’il a suscité, à travers le documentaire inédit Un hiver si précoce dans lequel interviennent les passionnés Patrick Glâtre, Philippe Lohier, et Alain Cresciucci. Jean Gabin dit « Le vieux » s’y trouve associé à l’un des représentants les plus prometteurs de la jeune génération : Jean-Paul Belmondo. Brillant directeur d’acteurs, le réalisateur répartit équitablement les rôles, sans jamais chercher à privilégier l’un par rapport à l’autre. La verve d’Antoine Blondin fait le reste. Deux jours de cuite mémorable pour un tandem d’éclopés de la vie échoués sur la côte normande où le café de Tigreville est devenu depuis un lieu de pèlerinage dans la bourgade de Villerville.

Mélodie en sous-sol de Henri VerneuilMélodie en sous-sol (1963) a quant à lui sans doute le tort d’avoir été signé par Verneuil à une époque où le maître du polar à la française (aux yeux de la critique bien-pensante) se nommait Jean-Pierre Melville. Le film n’a pourtant rien perdu de son efficacité « à l’américaine » qui lui a d’ailleurs valu un Golden Globe en 1964 et un succès considérable à l’international. Il repose par ailleurs sur le passage de témoin entre Jean Gabin et Alain Delon (finalement préféré à Jean-Louis Trintignant) que le réalisateur réunira à nouveau dans Le Clan des Siciliens six ans plus tard. Ici, l’intrigue n’est qu’un prétexte emprunté à un roman de John Trinian adapté par Albert Simonin que Michel Audiard se contentera d’accommoder de vingt-cinq mots d’auteur gouleyants. Reste qu’il émane de ce travail d’orfèvre une rare efficacité qui demeure aujourd’hui encore le meilleur passeport pour l’éternité. n

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La Voleuse Doriane Films
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La Dame d’onze heures / La Ferme des sept péchés Lobster Films




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