Critiques DVD

Publié le 31 juillet, 2019 | par @avscci

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Actu dvd juin 2019 – Six films français de répertoire

Toujours à l’affût des raretés les plus authentiques, Serge Bromberg a déniché avec Une femme a passé (1928) une authentique perle. À une époque où la batellerie en était arrivée à constituer un cadre prisé des cinéastes, comme en témoignent La Belle Marinière (1932) d’Harry Lachman ou L’Atalante (1934) de Jean Vigo, la péniche présentait le double avantage de constituer un cadre de huis clos à la fois pittoresque et itinérant. Dans son premier long métrage en tant que réalisateur, après un court au titre intriguant, Casaque, damier, toque blanche !, tourné quelques mois plus tôt, René Jayet fait rien moins qu’ouvrir la voie à ses successeurs sur une intrigue réduite à sa plus simple expression qu’il traite en l’espace d’une heure. Après avoir convaincu un marinier de l’héberger à son bord, une chanteuse de beuglant ne trouve rien de mieux que de séduire le propre fils de son hôte en semant le trouble parmi l’équipage. Influencé par l’expressionnisme allemand, cette chronique au fil de l’eau constitue sans doute aussi l’une des premières manifestations de ce fameux réalisme poétique dont Marcel Carné deviendra quelques années plus tard l’un des principaux artisans. Jayet suivra quant à lui une voie plus conventionnelle. Les bonus se composent d’un numéro du magazine d’actualités Aubert Journal de l’année du film et d’images du Paris de 1930.

Empreint de la nostalgie d’un Paris aujourd’hui disparu, 125 rue Montmartre (1959) – dont le titre est l’adresse du siège des Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne – fait partie de ces films du samedi soir qui n’ont rien perdu de leur fraîcheur originelle, même s’ils furent volontiers étrillés en leur temps par les intégristes des Cahiers du cinéma, au même titre que des œuvres nettement moins inspirées. Si Gilles Grangier s’est fait un nom, c’est précisément parce qu’il a su s’effacer derrière ses scénaristes et plus encore ses interprètes. Aucune velléité de succomber au vertige de la politique des auteurs chez cet artisan aussi humble que zélé qui alignait pourtant les succès au box-office avec une belle constance, sans revendiquer pour autant la moindre gloire. Puisant son inspiration dans un Prix du Quai des Orfèvres signé André Gillois (alias Maurice Diamant-Berger), humoriste parisien qui composait alors avec son épouse Mina un couple fort en vogue, Grangier trousse ici une chronique policière dialoguée a minima par Michel Audiard qui offre au « crieur » campé par Lino Ventura une belle occasion de jouer les héros malgré lui en vendant ses journaux au beau milieu de la circulation. Un homme ordinaire qui va lui donner l’occasion de mieux gérer son image en obtenant un droit de regard sur son personnage et l’histoire dans laquelle il se trouve embringué, mais aussi sur des partenaires parfois aux antipodes de lui, dont Robert Hirsch, un acteur de pure composition alors marqué par la Comédie-Française, et l’ex-premier Jean Desailly dans une ébauche de son personnage du Doulos. Parmi les nombreux suppléments : des images d’un cocktail organisé pendant le tournage, un reportage de la série Cinéastes d’aujourd’hui consacré à Audiard et… un spectacle de cirque donné par Buster Keaton.

24 heures de la vie d’une femme (1967) reste sans doute le film le plus célèbre de Dominique Delouche, cinéaste mésestimé qui a débuté comme assistant de Federico Fellini avant d’apporter une contribution considérable à la représentation de la danse à l’écran. Une transposition de la célèbre nouvelle de Stefan Zweig, elle-même inspirée du roman homonyme publié un siècle plus tôt par Constance de Théis, princesse de Salm, qui sera suivie trente-cinq ans plus tard d’une version nettement plus fidèle signée par Laurent Bouhnik. Cette première adaptation constitue à la fois un merveilleux hommage à Danielle Darrieux, qui en incarne la figure tutélaire, et que dirigera à nouveau Delouche dans Divine (1975), et une sorte de chaînon manquant entre les films que cette immense actrice a inspirés à Henri Decoin, Max Ophuls (ironie du sort, Delouche a d’ailleurs obtenu le Prix Max Ophuls pour son film suivant, L’Homme de désir), Jacques Demy ou Paul Vecchiali. Transposée de la Côte d’Azur au lac de Côme en 1917, l’intrigue décrit la liaison éphémère d’une veuve d’âge mûr avec un jeune déserteur suicidaire de l’armée autrichienne. Sélectionné en compétition à Cannes 1968, cette coproduction franco-allemande un peu anachronique a sans doute beaucoup pâti de l’interruption du festival et d’une lenteur qui ne sert pas toujours l’intensité de son sujet. Cette édition manque par ailleurs de suppléments.

C’est Véra Belmont, par l’intermédiaire de Claude Sautet, qui a proposé à Yves Boisset de porter à l’écran le livre de Pierre Lesou, auteur déjà adapté par Jean-Pierre Melville dans Le Doulos (1962) et Michel Deville dans Lucky Jo (1964). L’idée était de se servir de ce roman comme prétexte à une dénonciation des violences policières, particulièrement d’actualité au lendemain de Mai 68, phénomène de société épineux que traitera d’ailleurs aussi, mais sur un mode moins radical, Max et les ferrailleurs (1971). Sorti seulement quatre mois plus tôt, Un condé (1970) marque la naissance du cinéma politique français après avoir connu des démêlés avec ce qu’on appelait à l’époque la pré-censure, ainsi que le raconte le réalisateur dans une interview de 2007 figurant en bonus. Ce film polémique doit une bonne partie de son impact à la personnalité de son interprète principal, Michel Bouquet, choisi par le réalisateur en contradiction totale avec celui pressenti initialement par sa productrice, Lino Ventura, lequel avait refusé le rôle entre-temps de peur de ternir son image héroïque. Totalement interdit pendant six mois, le film a été amputé de quelques minutes, des dialogues ont été supprimés et une scène d’interrogatoire (qui figure dans son intégralité parmi les suppléments… en version italienne non sous-titrée) a même dû être retournée intégralement, ces multiples embûches ayant suffi à assurer une publicité involontaire au film qui a connu un joli succès à sa sortie. Tandis que Jean-Pierre Jeancolas revient sur l’histoire de la censure dans les années 1960, notamment à travers le cas emblématique de La Religieuse de Jacques Rivette, François Guérif se concentre quant à lui sur le rapport particulier qu’entretient Un condé avec la tradition policière de l’époque. Quant au compositeur Antoine Duhamel à la barbe fleurie, il évoque son travail spécifique sur la musique de ce film, indissociable de ses bruitages et de son ambiance sonore oppressante, en déplorant avoir lui aussi été censuré par Véra Belmont, puis par Boisset lui-même qui n’a pas su résister à sa productrice. Dont acte !

Quatre décennies avant Christian Duguay, Jacques Doillon a réalisé sa propre adaptation d’Un sac de billes (1975) à travers laquelle il aborde pour la première fois de sa carrière l’un de ses thèmes de prédilection : l’enfance. En l’occurrence, celle en temps de guerre relatée par Joseph Joffo dans son best-seller autobiographique. Au lendemain du film qui l’a révélé, Les Doigts dans la tête (1974), cette cavale dans la France de l’Occupation lui est confiée sur la suggestion de Claude Berri qui intervient ici en tant que coproducteur et avait d’abord proposé ce projet à… Maurice Pialat. Jacques Doillon, son directeur de casting, Dominique Besnehard, l’auteur de BD Kriss et l’acteur Richard Constantini (dix ans à l’époque) reviennent en détail sur la genèse de ce film tourné en dix semaines (ce qui paraissait un peu trop à Doillon qui en a profité pour s’offrir quelques scènes supplémentaires), lequel ne doit sans doute d’avoir si heureusement survécu aux ans qu’au fait qu’il apparaît d’une honnêteté à la fois scrupuleuse et rigoureuse, sans jamais trahir le naturel préservé de ses jeunes interprètes. Il est d’autant plus intéressant de découvrir en contrepoint plusieurs reportages consacrés par Pathé Journal au destin des enfants déplacés en raison de la guerre dont un discours de Jean Giraudoux à la jeunesse de France et un échange édifiant entre une institutrice et ses élèves sur la personnalité d’Adolf Hitler.

Histoire du caporal (1983) tranche avec la plupart des films consacrés à la Première Guerre mondiale (pas si nombreux à l’époque) par un point de vue qui contraste avec le patriotisme longtemps de rigueur, hormis dans des œuvres aussi subversives que Les Sentiers de la gloire (1957) de Stanley Kubrick ou Pour l’exemple (1964) de Joseph Losey. Le personnage auquel s’attache le premier film de Jean Baronnet est un combattant épuisé par trois années passées dans les tranchées qui décide de déserter à la faveur d’une permission. Moins par conviction idéologique que par lassitude et écœurement vis-à-vis d’un conflit qui ne semble jamais devoir prendre fin. Il marque l’aboutissement d’un itinéraire atypique pour un musicien qui a dévié lui aussi de sa route initiale. Après avoir débuté comme ingénieur du son pour Claude Lelouch et Alain Cavalier, Baronnet se tourne vers l’actualité et se spécialise dans le reportage de guerre à l’ORTF. Dans son deuxième long métrage, repéré pendant un an et tourné en quatre semaines au plus près de la nature, la fiction n’est qu’un leurre. C’est le documentariste qui reprend le dessus, en catalysant ses passions sous la houlette du producteur Humbert Balsan, ainsi que l’explique le livret illustré de croquis de Baronnet qui accompagne ce film devenu rarissime. n J.-P. G.

Une femme a passé Lobster Films
125 rue Montmartre / Un sac de billes Pathé Vidéo
24 heures de la vie d’une femme Doriane Films
Un condé ESC
Histoire du caporal Doriane Films




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