Publié le 18 octobre, 2017 | par @avscci
0Actu dvd – Cinq raretés vintage du cinéma français
Aujourd’hui totalement oublié, Les Distractions (1960) de Jacques Dupont, se situe dans la carrière de Jean-Paul Belmondo entre Moderato cantabile de Peter Brook et L’Adultère, le sketch de La Française et l’Amour réalisé par Henri Verneuil. Sans être une œuvre majeure, c’est un témoignage intéressant sur un cinéma français déchiré alors entre le conformisme poussiéreux des gardiens du temple et la tentation de la Nouvelle Vague (Chabrol effectue d’ailleurs ici une apparition discrète). Venu du documentaire, vers lequel il est ensuite retourné, son réalisateur avait précédemment collaboré avec Pierre Schoendoerffer sur La Passe du diable (1958), une adaptation du roman de Joseph Kessel. Il signe là son unique film en solo, sur un registre réaliste plutôt noir et brode à partir d’une chronique minimaliste qui tourne autour de la solidarité en exploitant habilement la personnalité de Belmondo, reporter photographe rattrapé brusquement par la réalité et projeté malgré lui en pleine tragédie humaine, avec en filigrane le spectre de la Guerre d’Algérie. Ne manquent vraiment à notre bonheur que quelques bonus.
C’est grâce à une vaste opération de crowdfunding que ressuscite aujourd’hui Rue des Cascades (1964), le sixième et dernier long métrage pour le cinéma de Maurice Delbez, dans une restauration 4K soutenue par le CNC. Un film martyr tiré par le futur scénariste de Bertrand Tavernier, Jean Cosmos, du premier roman de Robert Sabatier, Alain et le nègre, qui se vit retiré des affiches au bout d’une semaine d’exploitation, après avoir été lâché par son distributeur, rebaptisé Un gosse de la Butte par une major américaine et boycotté par les salles. On y découvre le quartier de Belleville tel qu’il était alors, à travers l’affection qui naît entre un gamin et l’amant noir de sa mère, incarné par le futur Mr. Univers de culturisme Serge Nubret. Un sujet ô combien audacieux à une époque où le cinéma français brillait d’une blancheur immaculée et ignorait les minorités de couleur, comme pour occulter les plaies encore béantes de la décolonisation. Outre un livret d’une quarantaine de pages, le film est paré de bonus abondants parmi lesquels un entretien avec le réalisateur, aujourd’hui âgé de 95 ans, les essais des enfants, les génériques alternatifs, les retrouvailles des principaux protagonistes organisées au printemps dernier et un reportage sociologique de Patrice Spadoni intitulé Belleville/Ménilmontant, terres d’accueil ?
Caractéristique de son époque par sa volonté de remettre en question frontalement une institution, en l’occurrence l’une des plus opaques, l’ordre des médecins, Sept Morts sur ordonnance (1975), d’abord intitulé… Chers vieux, pérennise la complicité nouée entre l’écrivain Georges Conchon (qui affirmait qu’il s’agissait moins d’un film sur la médecine que sur les notables) et le cinéaste Jacques Rouffio depuis L’Horizon (1967), autour d’un fait divers authentique survenu parmi l’honorable société reimoise. Ce film se caractérise d’abord par la richesse de son casting qui court sur trois générations, à travers les personnalités de Charles Vanel, Michel Piccoli et Gérard Depardieu, ces deux derniers se retrouvant dans la foulée de Vincent, François, Paul… et les autres (1974) de Claude Sautet. Il est par ailleurs accompagné de plusieurs modules qui le mettent en perspective dont deux reportages d’époque réalisés sur le tournage à Clermont-Ferrand.
Il faut replonger plus loin encore dans le temps pour évoquer les deux films que Lobster remet à l’honneur ce mois-ci. La Petite Chocolatière (1932), de Marc Allégret et Le Ruisseau (1938), de Maurice Lehmann. Deux raretés absolues, qui ne doivent d’exister encore que par l’infatigable persévérance de nos amis de Lobster. Deux films qui ne brillent pas réellement par une mise en scène inventive, mais plutôt par leur énergie bon enfant et la présence de monstres sacrés, Raimu pour le premier, Michel Simon pour le second. La Petite Chocolatière est tiré d’une pièce de boulevard du début du siècle. Le film de Marc Allégret succède ainsi à deux autres adaptations (muettes) et en précède une quatrième. Il possède le charme suranné de ces films des débuts du parlants qui ne cherchent aucunement à nous laisser croire à quelque réalisme, mais bien à mettre en valeur un texte que le spectateur a trop longtemps attendu. Le film vaut aussi, bien entendu, par la présence de Raimu, qui en fait des tonnes, mais pour notre plus grand plaisir. Serge Bromberg, dans sa (toujours) plaisante introduction nous apprend que le comédien étant irremplaçable, le personnage (pourtant central) sera tout bonnement absent de la version suivante. Reste que le comédien a dû apprécier l’humour et la légèreté du futur signataire d’Entrée des artistes : quelques mois plus tard, c’est à lui que reviendra de mettre en scène le second volet de la trilogie de Pagnol : Fanny.
Le Ruisseau est du même tonneau. Les jeunes premiers apparaissant assez fades en comparaison de l’abattage un rien cabotin de Michel Simon. Celui-ci joue le rôle d’un aristo déclassé qui n’est pas insensible au charme des demoiselles (un rôle qui n’est absolument pas de composition, on le sait). Le film pouvant être considéré comme un mélo (mais le décalage temporel fait qu’il n’est plus possible de le voir au premier degré), il n’est pas sans conséquence que Michel Simon prenne toute sa place. Même si Françoise Rosay est au fond aussi pittoresque dans la peau d’une mère indigne !
Yves Alion et Jean-Philippe Guerand
Les Distractions Studiocanal
Rue des Cascades M6 Video
Sept Morts sur ordonnance TF1 Studio
La Petite Chocolatière / Le Ruisseau Lobster